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Le jour. D'après fred sabourin
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La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille

13 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ..., #l'évènement

La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille

La Reine est morte, vive le Roi ! Depuis jeudi dernier, jusqu’à la saturation pour certains (la cancel culture et ses apôtres ne sont jamais bien loin…), chaque jour un petit peu davantage sur la Reine Elisabeth II, passée à trépas à l’âge très respectable de 96 ans. Depuis que tu es au collège, ma fille, c’est-à-dire depuis huit jours, tu augmentes ton niveau d’anglais. Ou plus exactement, tu en manges un peu plus chaque jour. Il paraît que ton prof est, lui aussi, anglais, ça tombe bien ! Gageons que lundi prochain, jour des funérailles à Westminster, tu devrais en entendre parler – in english of course !

Me reviennent en mémoire tes premières années, à Blois, autre cité royale s’il en est. En rentrant de l’école maternelle où tu fis tes premiers apprentissages, nous passions devant la vitrine d’un salon de thé so british. Voisinait, dans cette vitrine, tout ce que le kitch anglais peut produire d’excentrique et de décorations style « bonbonnière ». Je ne déteste pas, tant qu’on ne m’oblige pas à vivre dedans. Comble de ce kitch, trônait au milieu de tasses de thé aux motifs floraux d'un goût contestable, une petite statuette de la Reine d’Angleterre, en tailleur bleu avec chapeau à l’identique, gantée de blanc et sac à main noir, entourée de deux corgis. Il y avait, dans le sac à mains, une petite cellule photoélectrique, laquelle donnait, si la lumière était suffisante, une délicate oscillation à sa main, prodiguant ce salut qu’on lui connaissait bien depuis des décennies (tout le monde voit de quoi je parle). Le même système existait pour les chiens qui secouaient, eux, la tête. Ça t’amusait beaucoup, et je prenais un malin plaisir à dire, en pleine rue quand nous croisions des passants : « viens, on va passer devant le salon de thé saluer la Reine d’Angleterre ! ». Les gens nous prenaient probablement pour des mabouls, mais nous riions de bon cœur devant la vitrine, en agitant la main, comme elle. Les clients, à l’intérieur, se demandaient bien ce que nous faisons et nous prenaient certainement aussi pour des doux-dingues. Cela ne fait rien : j’emporte avec moi ce souvenir d’enfance, et c’était aussi l’occasion de t’expliquer qui était cette femme, pourquoi elle faisait cela, l’histoire, l’Angleterre, la monarchie, la guerre de Cent ans et tout le tintouin. Nous traversions l'histoire comme la ville : à grandes enjambées. Au début naturellement, tu n’y comprenais pas grand-chose, tu appréciais seulement le mimétisme et surtout le cocasse de la situation ; cela suffisait à faire ton bonheur… et le mien !

- The Queen Elizabeth number two se confie sur le confit -

- The Queen Elizabeth number two se confie sur le confit -

Vendredi dernier, quand tu es arrivée chez moi pour le week-end, nous avons bien entendu parlé du décès de la Reine d’Angleterre, du nouveau Roi, de ce qui allait désormais se passer etc. Tu m’as dit dans la voiture que tu voulais « entendre de l’anglais », passion soudaine, mais tant mieux ! Alors j’ai mis en replay (comme on dit outre-Manche), le journal de 20 heures de la veille, on a entendu Elisabeth s’exprimer, et la nouvelle Première ministre Liz Truss, fraîchement adoubée. Des gens dans les rues de Londres aussi. Nous regardions tout cela avec grande attention, et je voyais ton regard rempli de sérieux s’émerveiller d’apprendre cette page d’histoire, dont tu entends parler depuis longtemps donc. Du haut de tes presque 11 ans, tu t’en souviendras toute ta vie, on n'assiste pas souvent à des évènements de cette importance. Il passait quelque chose comme une transmission de la culture, d’une culture, de l’histoire et de la géographie – matières chères à mes yeux tu le sais – qui infusaient en toi comme l'heure du thé de 17 heures à Buckingham. Samedi matin, ce sont les premiers mots de Charles III – sous-titrés – que nous avons religieusement écoutés et regardés sur le site d’un grand quotidien.

Et je repensais à cette statuette d’une rue de Blois, dans la vitrine d'un salon de thé, comme celle croisée – hasard et coïncidence – dans une rue de Brantôme en Dordogne en juin dernier. La même, sans les chiens, mais toute aussi digne dans la légère oscillation de la main, adresse aux passants que nous étions ce jour-là. Je me disais que toute cette histoire au bord de notre chemin commun valait bien un royal sourire et un mouvement de la main pour dire « bonjour » à ses sujets. Cela vaut, surtout, de les avoir partagés avec toi.

13/09/2022

La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille
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Aubrac-toi un peu, si tu lauzes

29 Mai 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #voyage - voyage...

C'était une invitation à un mariage : l'union du gris, du vert et du bleu. Dans leur avarice légendaire (et exagérée, sans aucun doute), les Auvergnats avaient planqué les nuages qui auraient davantage sublimé reliefs et toits de lauzes, granits et gentianes, au détour des chemins (les "drailles") ou des granges (les"burons"). Partout, le vent a séché terre et ciel, secouant les grands arbres dans les vallons, les buissons de genêts sur le plateau, ébouriffant les vaches, paisibles, redécouvrant leurs estives depuis quelques jours, parfois seulement quelques heures.

L'Aubrac se découvre à pied, entre lauzes et murs de pierres sèches, où l'histoire d'un célèbre pèlerinage millénaire vient à la rencontre du marcheur ou le croise au détour de deux ruisseaux tantôt disparus, tantôt dévalant les gorges. En cheminant... 

Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes

Laissons à Frédéric Gros, auteur de Marcher, une philosophie (1), le soin de nous mettre en chemin :

"Les journées à marcher lentement sont très longues : elles font vivre plus longtemps, parce qu'on a laissé respirer, s'approfondir chaque heure, chaque minute, chaque seconde, au lieu de les remplir en forçant les jointures. Se presser, c'est faire plusieurs choses à la fois, et vite. Ceci, puis cela, et encore autre chose. Quand on se presse, le temps est plein à craquer, comme un tiroir saturé parce que, sans ordre, on a empilé des choses et d'autres.

La lenteur, c'est de coller parfaitement au temps, à ce point que les secondes s’égrènent, font du goutte-à-goutte comme une petite pluie sur la pierre. Cet étirement du temps approfondit l'espace. C'est un des secrets de la marche : une approche lente des paysages qui les rend progressivement familiers. C'est comme la fréquentation régulière qui augmente l'amitié. Ainsi un profil de montagne qu'on tient avec soi tout le jour, qu'on devine sous différentes lumières, et qui se précise, s'articule. Quand on marche, rien ne bouge, ce n'est qu'imperceptiblement que les collines s'approchent, que le paysage se transforme. On voit, en train ou en voiture, une montagne venir à nous. L’œil est rapide, vif, il croit avoir tout compris, tout saisi. En marchant, rien ne se déplace vraiment : c'est plutôt que la présence s'installe lentement dans le corps. En marchant, ce n'est pas tant qu'on se rapproche, c'est que les choses là-bas insistent toujours davantage dans notre corps.

Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, d'odeurs, où le corps infuse".

(1) Champs essais, 2011.

Photos (c) Fred Sabourin, mai 2022.

Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
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Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
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Dans Christian, il y a Christ (Rural road trip, saison 5)

15 Avril 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip

C’est le hasard. Ils sont deux à s’appeler Christian, et viennent, ou sont venus un temps, à la distribution alimentaire du bourg d’Aigre. Je les aime bien ces deux gars-là, dans un genre différent. L’un porte le patronyme d’un journaliste célèbre qui fut otage 124 jours en Irak en 2004, je lui avais fait remarquer une fois au début de mes fonctions à l’épicerie solidaire itinérante, mais ça ne l’a pas fait sourciller plus que ça. J’avais remballé ma science et fermé ma gueule.

Dans Christian, il y a Christ (Rural road trip, saison 5)

Il porte un cuir élimé, un jean et des sortes de boots à talonnettes façon années 70. Il a les cheveux mi-longs un peu gras, lissés avec une raie sur un côté. Je ne sais pas ce qu’il a comme voiture mais je jurerai qu’il a dû avoir une R17 dans les grandes années. On le verrait bien second rôle sorti des films d’Henri Verneuil ou Georges Lautner. Il est un peu causant – ce qui est rare dans la clientèle de bénéficiaires-hommes d’une petite soixantaine d’années, il cherche en tout cas le contact, c’est ainsi que je le prends. Je n’ai pas toujours eu le temps, mais depuis que j’ai accepté d’en perdre un peu avec lui, j’ai appris des trucs. Notamment qu’il est en retraite depuis quinze jours, il avait auparavant retrouvé un peu de boulot dans la mairie d’une commune voisine, après quelques temps au RSA, ce qui l’avait conduit à l’aide alimentaire… « Et ouais », m’a-t-il dit le 1er avril dernier, « ça y est, j’y suis ; j’ai 62, j’ai commencé à 14 ans ». À l’âge où aujourd’hui la plupart des minots adolescents répondent « ça dépend, à quelle heure ? » à la question : « qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? », ce Christian-là était déjà au turbin, à porter des sacs de ciment dans le BTP. Et puis les choses se sont enchaînées, dans tous les sens du terme et du verbe. D’usines en petites boîtes, il a fait un peu tous les métiers, surtout ceux qui usent, paient peu ou mal, de ceux dont on sort cassé avec une retraite minable, après une overdose de trimestres. « À peine 1000 € », avoue-t-il, « avec ça c’est sûr, faut pas s’écarter… », dit-il encore. « Punaise, ding dong ! » fais-je en imitant le bruit d’une cloche comme à l’happy hour, « ça se fête quand même, on va boire un coup ou quoi ? » dis-je l’air un peu bravache. « Ça peut… », répond-il me prenant au mot. Je me suis senti un peu bête, ce serait plutôt à moi de l’inviter.

L’autre Christian ne fait pas son âge, c'est-à-dire qu’il fait plus que son âge, que j’ai appris aujourd’hui (il m’aurait suffit de regarder le listing dans le logiciel de gestion des stocks et des bénéficiaires, mais je n’ai pas non plus le nez dessus en permanence). « Je vais avoir 60 ans bientôt, alors on va regarder avec l’assistante sociale pour ma retraite ». Parce que lui non plus, il ne la touche pas encore, sa retraite, alors qu’il ne bosse plus depuis un petit moment, la faute à son fichu dos. « J’ai commencé à 15 ans, à porter des sacs de ciments de 50 kilos. J’étais maçon. Je me suis détruit le dos, j’ai été opéré plusieurs fois. Si je vous montrait mon dos, vous verriez un cicatrice de 25 cm ». Il dit ça, Christian, comme vous parleriez de votre liste de course, avec sa bouche un peu édentée – je repense à la remarque déplacée d’un ancien Président de la République – sa parka grise avachie et ses chaussures, grises aussi, sans style, sans forme particulière, un modèle bon marché d’un supermarché quelconque. Ce Christian-là, c’est le premier que je vois quand j’arrive, avec le camion, près de la mairie. Il nous guette au coin de la rue, et il s’empresse de déplacer les panneaux de stationnement interdit, mis en place par l’employée de la mairie pour que nous puissions nous garer. La porte du camion s’ouvre, et Christian est le premier à empoigner les caisses de boîtes de conserve, de pâtes et de fruits et légumes, pour aider. Il fait ça avec son dos en vrac, Christian, foutu pour foutu, il aide encore, il donne. Son sourire est édenté mais ses petits yeux sont malicieux, il a toujours le mot gentil, le mot juste, et cette façon de demander « comment ça va ? » des gens sincères naturellement, sans calcul, en vérité. Il était en fin de droits aujourd’hui, Christian, il va falloir qu’il fasse sans nous pendant deux mois, après, il reviendra, c’est quasiment sûr. Aujourd’hui, il a fait durer le plaisir, on sentait qu’il n’avait pas envie de partir, il cherchait quelque chose ; du réconfort, peut-être ? Avant d’enfourcher son vélo Gitane avec son sac à dos et un cabas de supermarché accroché au guidon (un truc à se casser la gueule, mais il a dit « non, non, j’ai l’habitude, ne vous inquiétez pas ») il a demandé presque en s’excusant s’il pourrait quand même venir aider à décharger le camion, dans quinze jours. « Ben oui, Christian, bien sûr que vous pourrez venir, et vous pourrez rester boire un petit café avec nous même ! ». Nous non plus, on n’avait pas envie qu’il parte, avec son p’tit vélo, son sourire cabossé et sa gentillesse gratuite.

Que font-ils à cette heure, ces deux Christian-là, célibataires dans leurs bourgs perdus au fin fond d’une Charente ingrate, à quoi pensent-ils, à quoi rêvent-ils, s’ils rêvent encore ? Dans dix jours, ils iront peut-être voter eux aussi, pour qui, pour quoi, pour quoi faire ? Ils n’ont pas l’air aigris et pourtant ils auraient de bonnes raisons de l’être. Ou alors ils sont trop pudiques pour montrer leur colère et lever un poing rageur vers la société qui ne les a pas épargnés dans leurs maigres vies.

En rentrant, sur la route, c’était grand soleil et tempête de ciel bleu. Nagui et Leila Kaddour parlaient à la radio, j’écoutais vaguement, perdu dans mes pensées, comme souvent quand on revient d’Aigre où il s’est toujours passé quelque chose de singulier. Et puis c’est vendredi, le dernier jour de la semaine, il flotte dans l’air une odeur de cheval qui ne va pas tarder à retrouver l’écurie. Je repensais aussi tout à coup qu’on était « vendredi saint ». Autrefois ça avait beaucoup d’importance dans ma vie, ça n’en a pas moins mais je n’ai franchement plus le temps d’y penser autant qu’avant. Les deux visages des Christian me sont apparus et ne m’ont plus quitté de la journée. Il m’est soudainement revenu à l’esprit que dans Christian, il y a Christ.

 

F.S. 15/04/2022

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Complètement givré

26 Janvier 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement

"Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, d'odeurs, où le corps infuse"

(F. Gros, Marcher, une philosophie). 

Complètement givré
Complètement givré
Complètement givré
Complètement givré
Complètement givré

"La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.

Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.

Mais on entend parfois, comme une morne plainte,

Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois". (...)

Complètement givré
Complètement givré
Complètement givré
Complètement givré
Complètement givré

"Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.

L’hiver s’est abattu sur toute floraison ;

Des arbres dépouillés dressent à l’horizon

Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

 

La lune est large et pâle et semble se hâter.

On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère.

De son morne regard elle parcourt la terre,

Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter."

(Guy de Maupassant, Nuit de neige).

Photos (c) F.Sabourin, Moulin du Got - Vallée de l'Anguienne - Dirac, Charente.

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« Une Mercedes, ça fait bourgeois… » (Rural road trip, saison 4)

1 Décembre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip

Elle a dit une petite phrase au détour d’une autre, comme ça, l’air de rien. Pour être franc, on ne l’avait pas vu venir. Stéphanie* venait donner un coup de main à l’épicerie solidaire le jour d’une vente-braderie de vêtements délocalisée, pour l’occasion, dans un petit bourg au nom peu amène : Aigre. C’était un jour gris de novembre, frais et humide, rien d’autre à dire. Cela faisait longtemps, Covid oblige, qu’on n’y avait pas organisé une braderie, au plus près des gens. Le matin, tous les bénévoles – une grande majorité de femmes d’un âge avancé – s’étaient affairées pour préparer le magasin d’un jour : installer les tables, présenter les vêtements, objets, jeux et jouets de façon attractive, mettre le couvert pour le déjeuner partagé du midi. Stéphanie, la locale de l’étape, habite à deux pas de la mairie : elle est venue aider, elle aussi. Malgré son handicap – une boiterie liée à un accident domestique, Stéphanie s’affaire, comme les autres. De plus en plus souvent sans sa béquille. Quand on l’a connue, il y a un peu plus de deux ans, elle en avait deux. Stéphanie démontre un courage et une volonté qui force le respect, malgré la dureté de sa vie. Il est des signes qui ne trompent pas : depuis quelques mois, elle se coiffe mieux, elle s’habille mieux, elle est moins « à cran » lors des distributions alimentaires du vendredi. Elle sourit et plaisante. Bref, elle va mieux.

*(le prénom a été changé)

« Une Mercedes, ça fait bourgeois… » (Rural road trip, saison 4)

Mais elle habite Aigre. Un bourg un peu paumé du nord Charente. Pas ou peu de bus. Un réseau téléphonique aléatoire dès qu’on s’éloigne du centre-bourg. Internet par intermittence, quand toutefois on a les moyens d’avoir un abonnement. Quelques commerces encore, mais beaucoup de rideaux fermés. Le chef-lieu du département est à 35 kilomètres, au plus court. La sous-préfecture à 25. Pour quiconque ne possède pas de véhicule, c’est très compliqué de se déplacer. Stéphanie ne peut pas bouger, ou si peu. Où irait-elle, de toute façon ? Chez son frère, dans un département voisin, ou peut-être tout simplement dans le village d’à côté voir un copain, ou une copine. Pouvoir aller et venir. Être libre.

Sans préavis, le plus naturellement du monde, alors qu’on évoquait la collecte annuelle de la Banque alimentaire qui allait bientôt se dérouler et à laquelle elle ne pourra finalement pas participer, elle a dit, comme ça : « c’est parce que je ne suis pas là ce week-end-là ; je vais chercher une voiture, en Vendée… ». On lui a fait répéter car on a cru mal entendre. On s’est réjoui : « Une voiture ? C’est vrai ? Mais c’est génial ! ». « Oui, oh, mais à crédit ! », s’est-elle empressée de préciser - on s’en doutait un petit peu… « J’ai réussi à obtenir un crédit », a-t-elle exactement dit, comme une grande victoire et on comprend pourquoi dans sa situation.

Tout en débarrassant les tables du déjeuner, Stéphanie a sorti son smartphone, cherchant une photo de la future voiture d’occasion, à crédit donc. Et nous l'a montrée, en s'excusant presque : « Je suis quand même un peu embêtée, c’est une marque que je n’aime pas... Une Mercedes… ». « Mais c’est une classe A, une petite, où est le problème ? », a-t-on dit. « Oui, mais ça va causer. Mercedes, ça fait riche, ça fait bourgeois… ».

La petite victoire de Stéphanie, dans son marasme physico-rural, c’est d’avoir obtenu un crédit (ce n'était pas gagné), lequel lui permet d’obtenir une voiture, laquelle va lui rendre un peu de liberté. Toute à sa joie, elle garde pourtant la tête froide, Stéphanie. Elle dit « cette voiture n’est pas à moi, elle est à crédit, et je dois rembourser ». Et la première chose à laquelle elle songe, alors qu’elle serrera bientôt dans sa main la clé d’une liberté retrouvée, c’est : le qu’en dira-t-on ? « Qu’est-ce qu’on va dire de moi, au village ? ». Et il y a fort à parier en effet que les langues seront bien pendues, hélas.

Parce que c'est comme ça : une Mercedes, « ça fait bourgeois ». Et quand on est pauvre, pour Stéphanie, on ne peut pas avoir l’air « bourgeois ». C’est bête, mais c’est comme ça…

F.S. 17/11/2021

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The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)

29 Octobre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma

Le dernier et très très attendu film de Wes Anderson explore la mythologie littéraire d’un âge d’or du journalisme, à travers une galerie de portraits de correspondants américains dans une France sépia qui sent bon l’intérieur des armoires normandes de nos aïeules. Un capharnaüm de comédiens internationaux qui évoluent dans des décors superbes, mais l’ensemble peine à cacher les faiblesses du scénario. Un élément qui ne s’achète pas à coup de millions de dollars...

- Ennui-sur-Blasé (Angoulême, dans la vraie vie) -
- Ennui-sur-Blasé (Angoulême, dans la vraie vie) -
- Ennui-sur-Blasé (Angoulême, dans la vraie vie) -

- Ennui-sur-Blasé (Angoulême, dans la vraie vie) -

Lorqu’Arthur Howitzer Jr (Bill Murray), rédacteur-en-chef du news magazine The French Dispatch, supplément week-end du Kansas Evening Sun, casse sa pipe dès le début du film, quatre de ses plus prestigieux reporters prennent leur plus brillante plume, pour se souvenir de leurs meilleurs reportages, boucler un dernier numéro hommage et écrire sa nécrologie. Le résultat est un film à sketchs, où le réalisateur américain explore les mythologies Outre-Atlantique et d’une France éternelle, en envoyant ses comédiens-reporters arpenter « Ennui-sur-Blasé », en vrai Angoulême transformée et même magnifiée par des décors superbes (qui ont donné du boulot à plein de gens par ici et c’est même pour ça que les salles sont pleines cette semaine).

Il y a d’abord l’histoire des bas-fonds et des titis des faubourgs, où l’on croise un peintre psychopathe (Benicio Del Toro), dont la muse n’est autre que sa gardienne de prison (Léa Seydoux). Puis vient la romance post-adolescente sur fond de manifeste de Mai-68, entre l’étudiant Zeffirelli (Thimothée Chalamet) et la jeune Juliette (Lyna Khoudri), dans un conflit potache abracadabrantesque. Enfin, l’histoire d’une rocambolesque amitié née dans une salle à manger entre un commissaire de police (Mathieu Amalric) et un cuisinier fin limier des fourneaux, Nescaffier (Steve Park), qui sauve son fils d’une bande mafieuse, au prix d’une course poursuite dans les rues escarpées d’Ennui-sur-Blasé – séquence tournée en animation, de loin le meilleur moment du film.

The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)

De ce capharnaüm foutraque et débridé, on ressort franchement dubitatif. Certes, The French Dispatch n’est pas un film raté en soi, c’est plutôt un film trop bien cadré, trop bien léché, trop bien manufacturé. Reprenant les codes habituels des cadrages au cordeau, de l’alternance heureuse (parfois) entre la couleur et le noir et blanc, des effets de symétrie et de l’obsession du détail, Wes Anderson apparaît, dans ce dernier opus, meilleur chef décorateur que scénariste. Car il faut l’avouer : on ne peut réprimer de sévères et fréquents bâillements – n’en déplaise aux Angoumoisins, nombreux dans la salle à être venu tenter de reconnaître qui un copain figurant, qui un décor vu pendant le tournage qui dura dix mois l’automne et l’hiver 2018-2019, et qui se sont montrés très enthousiastes pendant la projection. Débourser plus de 27 millions de dollars (le plus gros budget de tournage d’un film américain sur le territoire français) dans la réalisation de The French Disptach n’en fait pas pour autant, comme on peut le lire sur les affiches des abris-bus de la bonne vieille ville d’Angoulême, « le meilleur film de Wes Anderson ». Sauf à se contenter du feuilletage d’un catalogue d’images chics et des tournures de phrases ficelées comme des slogans publicitaires.

Si l’intention est louable – plonger dans la légende dorée d’un journalisme plus ou moins fantasmé où la qualité du récit et l’inventivité romanesque prenait le pas sur l’enchaînement réel des faits – le tout dans une ville française rêvée plutôt que reconstituée, n’en demeure pas moins l’impression tenace d’un ennui à Ennui. Vous allez nous trouver bien blasés, et c’est pas faux, mais à Angoulême on a tellement parlé du « film de l’américain, tu sais, Wes Anderson, et ben il tourne dans la ville avec un millier de figurants et tout ce que la région compte d’intermittents du spectacle », qu’on finit par se demander si, in fine, avec The French Disptach, le dandy Anderson ne ferait pas une sortie de route en se plantant dans le décor…

F.S.

The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)

On a aimé : les décors dans Angoulême transformée ; les références au cinéma de Jacques Tati ; les plans en plongée et en contre-plongée ; le deuxième sketch sur Mai-68 avec Thimothée Chalamet et Lyna Khoudri ; la poursuite en bagnole dans les ruelles de la ville en film d’animation ; la bande originale du film (avec l’excellente reprise d’Aline par Jarvis Cocker, et… Chantal Goya).

On a moins aimé : les longueurs dans le premier sketch du psychopathe peintre ; le scénario poussif ; la trop grande vitesse des plans les cinq premières minutes avec une voix off difficile à suivre en V.O. ; la minutie de chaque composition des plans qui finit par lasser comme si elle voulait cacher quelque chose ; bâiller aux corneilles en regardant l’heure…

The French Disptach, de Wes Anderson. 1h43. Avec Thimothée Chalamet, Lyna Khoudri, Léa Seydoux, Bille Murray, Benicio Del Toro, Matthieu Amalric, Adrien Brody, Frances Mcdormand…

The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
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La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor

18 Octobre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement, #regarde-la ma ville

La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor

En décembre 2016, nous avions fait paraître dans le média Magcentre.fr un article intitulé de la sorte ; nous l'avions également publié ici.

À cette époque-là, les possibilités de visites étaient frileuses (deux horaires, trois jours par semaine et seulement douze personnes à la fois). Fort heureusement, la DRAC, l'Office de Tourisme d'Angoulême et Charentes tourisme () ont (un peu) progressé dans les possibilités - sur réservations - de découvrir ou redécouvrir cette splendeur scénographiée par Jean-Michel Othoniel, installé à l'Académie des Beaux-Arts le 6 octobre dernier. De nouvelles photos de ce trésor magnifié par un soleil automnal frappant en plein les vitraux d'Othoniel et des ateliers Loire de Chartres permettent de donner envie, nous l'espérons, d'aller visiter cette splendeur alliant patrimoine et modernité.

Réservations au 05 45 95 16 84 et www.angouleme-tourisme.com . Tarif adultes : 5 €.

Photos (c) F. Sabourin

La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
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Dix ans

23 Septembre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

« J’ai dix ans, des billes plein les poches, j’ai dix ans, les filles c’est des cloches, j’ai dix ans, laissez-moi rêver que j’ai dix ans, ça parait bizarre mais… si tu m’crois pas, hé ! tar’ta gueule à la récré ! ». Dix ans. Il y a dix ans tu respirais pour la première fois l’air de cette planète, en pointant le bout de ton nez dans une clinique des bords de Loire, pour le plus grand bonheur de tes parents. Ces dix années ont filées à la vitesse de la lumière. Je sais que nous venons de vivre, toi et moi, probablement les meilleures années, celles de l’enfance, une certaine forme d’insouciance, de rires et de jeux, de découvertes en tous genres, de milliers de questions. J’ai encore dans l’oreille ton « c’est quoi, ce bruit ? » que tu répétais ad libitum quand tu découvrais le monde, à chaque carrefour… Je sais que ce temps-là s’éloigne petit à petit et ne reviendra plus, ou du moins différemment, sous la forme de souvenirs que nous partagerons quelques fois, en souriant à l’évocation d’anecdotes qu’il nous plaira de nous remémorer.

Je me doute aussi que les dix ans à venir seront certainement un peu plus difficiles : avant d’entrer dans la grande tectonique des plaques de « l’adolescence » et de ses joyeux tourments, tu vas entrer dans ce que les « spécialistes » qui ont pignon sur rue nomment la « pré-adolescence », avec son lot d’oppositions, de petits arrangements, de négociations, de frictions en tous genres. Le temps qui s’ouvre désormais sera un temps où tu chercheras à tester tes parents – ta mère, malgré ses efforts, n’y échappera pas non plus et peut-être même en pire puisqu’elle te voit tous les jours – et où nous aurons des rapports parfois tendus. Mais je sais aussi que ce sera un temps riche où le débat prendra souvent de la place, où de nouveaux modes de relations verront le jour ; un temps de maturation surtout, où, quoiqu’il arrive, je serai là pour toi comme je l’ai toujours été, quoiqu’on en pense ou dise…

Dix ans
Dix ans

Quand je repense aux dix ans qui viennent de s’écouler, pendant lesquelles j’ai noircit des centaines de pages sur mon émerveillement de te voir grandir et prendre de l’assurance, des souvenirs heureux se bousculent dans ma tête. Je songe aux rituels que nous avions, dans la petite ville au bord de la Loire où nous avons vécu ces vertes années, sur le chemin de l’école notamment : la petite souris en peluche dans la vitrine d’une coiffeuse ; la baguette de pain croustillante de chez Mélanie ; les détours aux jeux ; le passage devant l’église et les achats de bougies que nous allumions ensuite les soirs d’automne et d’hiver avant de nous mettre à table... Je songe aussi aux histoires racontées chaque soir où tu étais chez moi, la mise en scène pour changer ma voix en fonction des personnages, et combien cela te plaisait. La boîte à musique avec la danseuse. Tes yeux émerveillés devant le globe terrestre lumineux offert pour tes cinq ans. Les rituels culinaires aussi, grâce à tes goûts très tôt très prononcés pour certains plats. Ta passion pour les animaux, les découvertes au zoo ou tout autre lieu où il était possible d’en voir. Les nuits en bivouac dans les Pyrénées. Je me souviens aussi – et ça n’est d’ailleurs pas terminé – des œuvres d’art que j’ai cherché, et cherche encore, à te faire découvrir à travers toutes formes culturelles - musées, châteaux, églises, films, livres… - tout cette richesse patrimoniale qui est là sous nos yeux et dont il faut s’enivrer. Cet esprit d’ouverture, par la culture, te protégera je crois et je l’espère, des affres de l’ignorance crasse, des bassesses humaines, des petits esprits pinailleurs, paranoïaques, revanchards qui sont nombreux et que tu croiseras malheureusement souvent sur ta route. Un jour, un commissaire-priseur que je connais bien et qui m’a montré de si belles choses en marge de ses ventes aux enchères me disait : « Il faut toujours montrer du beau aux enfants, il en restera toujours quelque chose » (je sais qu’il me lit et qu’il se reconnaîtra ; je lui témoigne de ma gratitude). Il a raison et c’est pour cela que je poursuis inlassablement cette quête du beau et de la culture avec toi, libre à toi d’en faire ce que tu voudras par la suite.

Parfois, dans mes rêveries de promeneur solitaire, je te vois plus grande et moi plus vieux, je vois ton indépendance en devenir et la réalisation d’une vie que je souhaite la tienne en fonction de tes choix à toi, et non pas ceux que tu penses devoir faire pour faire plaisir à ton père ou ta mère. Dans mes rêveries, je te vois libre, heureuse, passionnée par ce que tu fais, riante, joyeuse, parce que tu te seras et tu te sentiras aimée pour ce que tu es, et non pas corsetée dans ce que tu devrais être. Tu aimes les animaux, je te vois vétérinaire ; mais je te vois aussi bien trapéziste dans un cirque ou professeur des écoles si ça te chante ; parcourant le monde pour aider ceux qui sont dans le besoin ; archéologue, dessinatrice ou pianiste si ça te tente aussi. Tout ce que tu feras fera ma joie, parce que l’amour que j’ai pour toi renverse tout, depuis dix ans et pour dix, vingt, trente quarante ans ou davantage même si la vie me prête la grâce de le voir…

Jusqu’à mon dernier souffle, je n’aurai de cesse, en homme libre, de te le dire, et de te l’écrire : tu es aimée.

Ton papa.

Dix ans
Dix ans
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Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle

6 Septembre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma

Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle

D'aussi loin qu’il m’en souvienne, mon premier souvenir cinématographique remonte au début des années 80, en 1982 précisément, à la sortie de l’As des as, de Gérard Oury. Un mardi soir – je peux m’en souvenir car je n’avais pas école le lendemain et c’est pour cela que l’évènement a pu avoir lieu – mon père est rentré du boulot à tout berzingue en criant : « Vite, vite ! dépêchons-nous de dîner ! J’ai trois places pour l’As des as au Comédia ! ». Effervescence dans la cuisine familiale de la petite ville de Marmande, où nous habitions alors. Je ne me souviens plus du menu évidemment, mais ce dont je me souviens c’est qu’en effet on a dîné avec un lance-pierre. Moins d’une heure plus tard, nous faisions la queue devant le cinéma dont la façade était bouffée par l’affiche où l’on voit "Bébel" sur fond rouge, sourire aux lèvres, blouson de cuir et lunettes d’aviateur mimant un combat de boxe.

Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle

Le cinéma, à cette époque-là, c’était encore quelque chose : une salle aux fauteuils de velours rouges, du reste pas terriblement confortables, une scène avec un rideau tendu depuis le plafond sur lequel étaient collées des publicités pour les commerces locaux, salons de coiffure, boucheries-charcuteries, quincailleries, plombiers ou électriciens dépanneurs 7 jours sur 7, et brasseries de la gare aux menus « steak-frites ». Le cinéma, c’était une odeur mélangée de poussières en suspension, de parfums mêlés aux relents de transpiration et de pop-corn. La salle de cinéma, c’était avant tout une expérience sensorielle, olfactive, tout autant que visuelle. Bien avant que les chiennes de gardes féministes ne poussent leur premier cri, la salle de cinéma, c’était aussi l’ouvreuse, une femme donc et si elle était mignonne ça ne gâchait rien, laquelle, après avoir déchiré à moitié votre ticket jaune, bleu ou rouge à l’entrée, passait au bord des rangs, un panier en osier en bandoulière, proposant des cornets de glace, des pop-corn, des bubble-gums ou des caramels et sachets de bonbons Haribo.

On restait (trop) longtemps à regarder les pubs qu’on finissait par apprendre par cœur. Puis la lumière s’éteignait à moitié (peut-être pour qu’on ne se tache pas avec les cornets vanille-chocolat ?) et on regardait les bandes-annonces des films « prochainement dans cette salle »… Enfin, la lumière s’éteignait pour de bon et le film commençait.

Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle
Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle

Ce soir-là, ce premier soir-là, ce fut l’As des as, avec Jean-Paul Belmondo, Marie-France Pisier, et le petit Simon Rosenblum, joué par Rachid Ferrache, auquel, dès le lendemain, on pouvait s’identifier et dont on jalousait d’avoir tenu la réplique au héros : Bébel. Pourquoi me souvins-je avec autant de précision de ce film à cet endroit-là ? Parce qu'il m'a fait aimer les films, et les salles où l'on pouvait les voir. Une  madeleine de Proust, en quelque sorte...

J’ai bien dû voir par la suite au moins la moitié des 80 films de Jean-Paul Belmondo. D’À bout de souffle à Itinéraire d’un enfant gâté, en passant par toute la glorieuse (à mes yeux) série des années 70 (Peur sur la ville ; Flic ou voyou ; le Magnifique ; Stavisky ; l’Alpagueur ; Le corps de mon ennemi ; L’incorrigible etc.) mais aussi Pierrot le fou ; Borsalino ; Gabriel Fouquet dans Un singe en hiver ; Léon Morin, prêtre ; Cent mille dollars au soleil ; Un week-end à Zuydcoote ; Les Tribulations d’un Chinois en Chine ; Le Doulos ; l’Aîné des Ferchaux…) jusqu’aux années 80 plus ou moins déclinantes, malgré Le Professionnel (le sommet de sa gloire) ; les Morfalous ; Joyeuses Pâques ; Hold-up ; le Solitaire

« Des embardées, Jean-Paul Belmondo n’en aura finalement guère fait, dans une carrière paradoxalement brillante et sage, bien que commencée sous le signe de la rébellion » écrit dans sa nécrologie Jean-Michel Frodon dans Le Monde. « Grande gueule et séducteur, héros à l’apparence de M. Tout-le-monde capable de réconcilier comédie et film d’action, seul véritable héritier de Jean Gabin (…) il aura durant près de soixante ans offert au cinéma français de genre un corps, une trogne et une voix ».

Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle
Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle

C’est exactement ça : un corps, une trogne, une voix. Le corps d’un acteur ; une trogne de cinéma ; une voix de comédien, même si celui-ci, qui rêvait de la comédie française, aura davantage cédé au vedettariat qu’à ses ambitions. Cela avait mal commencé pour lui : peu apprécié du jury à la sortie du Conservatoire en 1957 (« Vous feriez hurler de rire une salle si vous preniez une femme dans vos bras », lui a dit son professeur d'art dramatique Pierre Dux ), il a pour partenaires Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Jean Rochefort, Bruno Cremer, Pierre Vernier, Michel Beaune, qui le portent en triomphe malgré son accessit, lui qui rêvait d'un premier prix… On connaît la suite : Godard le convainc de tourner pour lui À bout de souffle en 1960, et la nouvelle vague entraîne avec elle le jeune premier qui disait, à son retour d’Algérie : « j’arrête le cinéma, c’est trop con ».

C’eût été trop con en effet d’arrêter. Sans lui, en famille, entre collègues, entre copains, nous ne serions pas allés voir les films de Bébel, ni ne les aurions vus et revus ad libitum quand ils repassent « à la télé ». Grâce à lui, un soir, le dîner envoyé en quatrième vitesse, on est entré dans une salle de cinéma, et depuis, jamais ressorti.

Adieu, as des as.

F.S.

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Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie

19 Août 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement, #patrimoine

Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie

En 1924, pour 80.000 Francs de l'époque, deux frères, Raymond et Alphonse Réthoré, acquièrent le château de la Mercerie, sur la commune de Magnac-Lavalette en Charente, à une portée de canon de Villebois-Lavalette. Il s'agit d'un manoir style Empire construit au début du XIXe siècle, le cadastre napoléonien de 1826 en atteste. Dans la dernière décennie du XIXe siècle, une tour carrée néo-romane avait été ajoutée par un descendant de la famille Mesnaud de Saint Paul.

Alphonse Réthoré, qui entreprit d'abord des études de médecines pour ensuite les abandonner et se consacrer quasiment en autodidacte à l'architecture, et son frère Raymond, d'abord journaliste puis maire de Magnac-Lavalette puis député de la Charente d'abord en 1936 sous l'étiquette radical-socialiste puis de 1958 à 1978 comme gaulliste, vont se consacrer à d'importants travaux, d'abord de réhabilitation et d'embellissement du logis ; puis la construction de la façade en trompe-l’œil de 220 mètres, se voulant une réplique du château de Versailles, comme d'autres pièces à l'intérieur, notamment une "galerie des glaces" ornée de grand panneaux azulejos, entre autres lambris, balustres, colonnades, peintures, sculptures etc.

Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
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Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
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Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie

Au milieu des années 70, les fonds commencent à manquer aux Réthoré. Les travaux cessent, excepté l'entretien de l'existant. En 1983, Alphonse décède, il est inhumé dans un pilier de la façade construite en imitation de celle de Versailles. En 1986, c'est Raymond qui décède à son tour, il sera inhumé de la même manière. Une plaque de marbre orne chacune des sépultures. Sans héritiers, c'est à Solange, leur fidèle secrétaire et ancienne gouvernante, que devait revenir le château. Las ! Elle meurt  dans un accident de voiture, c'est son frère qui en hérite finalement. Ce dernier organise une grande vente aux enchères en 1987 dans la grande galerie du château (sous les marteaux de Me Jean-Gérard Tasset et Robert Juge). Les nombreuses œuvres d'art collectionnées et amassées par Raymond durant ses voyages sont ainsi dilapidés, et le produit des enchères sert surtout à rembourser les dettes. Un antiquaire parisien, Bernard Steinitz, acquiert le château en 1988. Peu entretenu, les moyens manquant, le château sombre peu à peu dans l'abandon, se dégrade. C'est un vaisseau fantôme qu'on aperçoit de loin, et dont les Charentais s'approchent avec discrétion : le parc est l'occasion de pique-niques, mais l'intérieur demeure difficile à pénétrer. Finalement, en 2008, une société foncière gestionnaire d'actifs immobiliers, Foncière Volta, achète le château. En 2012 est signé un bail emphytéotique de 75 ans entre cette société et la mairie de Magnac-Lavalette et son maire, Didier Jobit. Une association "Château de la Mercerie" a a cœur de le restaurer, et progressivement il renait d'une ruine qui s'annonçait certaine.

Il se visite d'avril à novembre, on trouve les formations nécessaires à ces visites sur la page Facebook ChateauDeLaMercerie et sur le site www.chateaudelamercerie.fr  (d'où sont tirées la plupart des sources du commentaire ici présent).

F.S.

Photos (c) Fred Sabourin.

Une folie fraternelle, "Versailles charentais" : le château de la Mercerie
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