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Le jour. D'après fred sabourin

Dans le silence des cathédrales

24 Août 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Ceux qui me connaissent le savent bien, et le disent, parfois : si les Pyrénées étaient une religion, je serais dévot. Ou bigot, c’est selon. Je n’en éprouve, depuis le temps (plus d’un quart de siècle) aucune honte, cette lubie, monomanie pour certains, est totalement assumée. Inutile de me faire changer d’avis, jusqu’à ma mort, ça sera comme ça. Parmi les « églises » pyrénéennes où j’aime particulièrement me « recueillir », il y a le massif de Gavarnie - Mont-Perdu. Trois cirques se succèdent (quatre, si l’on veut ajouter le plus oriental bien qu’ouvert au sud, formé par la muraille de Barroude) : Gavarnie, Estaubé, Troumouse. Depuis longtemps je songeais à faire découvrir ce sanctuaire béni entre tous à ma fille, jeune padawan de bientôt 12 ans au pied de plus en plus sûr, et aux mollets endurcis par les années de marche. Ce qui fut dit fut fait, cet été 2023.

Dans le silence des cathédrales
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Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Il y eut deux moments particulièrement émouvant pour elle, je crois : la découverte du cirque de Gavarnie et sa grande cascade, le premier jour (balade facile, 300 mètres de dénivelés) : au fond du cirque, sous la fraîche cascade ou presque, au pied du mur, dans les cailloux : rien de tel pour poser le décor. Puis la soirée et nuit dans la petite cabane des Aires, à 2100 mètres, à l’entrée du cirque de Troumouse. Je l’ai déjà écrit ici maintes fois et photographié autant de fois aussi : j’aime Gavarnie, c’est certain, mais plutôt d’en haut. J’adore Troumouse encore davantage, et j’aime y être « dedans » (même si la grande carcasse de la Munia, à 3185 mètres, demeure ma course mixte de montagne préférée). Au soir de ce 9 août, à l’issue d’une chaude journée d’été que nous avions passé à l’ombre, et dans la fraîcheur du torrent près de la chapelle d’Héas avant de se coltiner un peu plus d’une heure du demi de suée pour arriver en soirée à la cabane, nous avons bénéficié d’un silence de cathédrale. Il faut l’entendre pour le croire : au cœur même du ventre de ces onze kilomètres de circonférence (plus étendu que Gavarnie…), c’est à peine si l’air était troublé par le murmure d’un petit torrent quelques mètres plus bas. À ce moment-là, cette soirée-là, trois sens demeuraient essentiel à la contemplation : la vue, l’ouïe, l’odorat. Tout le reste semblait devenu accessoire. La petite cabane qui allait nous servir d’abri – mais contre quoi, la nature semblait si paisible ce soir-là ? - était comme la cabine d’un petit bateau qui nous aurait accueillis au milieu de l’océan. Même l’Espagnole, seule, qui s’y trouvait avant nous, ne faisait pas de bruit (chose rare, c’est qu’elle n’avait personne avec qui parler !). Nous étions posés là, dans le creux de la main chaleureuse de Troumouse, à contempler les « sept rochers capitaux » d’une crête si tentante : Pas de Gerbats, Pic Heid, Pointe des Aires, Pic de Troumouse, Pic de Serre de Mourènes, Petite Munia, Grande Munia. Une fois la jeune padawan saucissonnée dans son sac de couchage, je restais encore un petit moment dehors, à observer gravement, comme les marins, le soir tombant doucement. Rien ne manquait au décor, et surtout pas le silence de cette cathédrale de roches calcaires façonnée par le temps, l’érosion, la glace désormais totalement disparue. Je fis mon signe de croix à la fin de ces vêpres pyrénéennes et j’allais me coucher, les yeux imprimés de ce panorama sans cesse renouvelé.

Dans le silence des cathédrales
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Dans le silence des cathédrales

Il y eut un troisième moment de « dévotion », si j’ose dire, lors de la montée à la Hourquette d’Alans (2430 m), la veille du départ. Profitant de la fraîcheur du petit matin, au sortir du bois des Espuguettes, ce col – Hourquette dans les Pyrénées indique une forme de fourche – permet de relier Gavarnie au cirque d’Estaubé, le moins connu des trois et pour autant pas le moins beau. Il débouche sur la célèbre brèche de Tuquerouye, à 2666m, où est posté, depuis 1896, le plus vieux refuge non-gardé des Pyrénées. Il y a bientôt trente ans, c’est ici que mon aventure pyrénéenne a commencé, et à l’époque, ça s’était plutôt mal passé : météo pourrie, compagnons de cordée pas du tout à la hauteur, inexpérience totale, matériel et vêtements totalement inadaptés aux conditions météo que nous avions rencontré. Les Pieds nickelés en randonnée… De l’eau a coulé depuis sous les passerelles de la grande cascade, je suis repassé souvent par ou près de cette Hourquette, j’avais à cœur de montrer à ma fille l’amphithéâtre du cirque sous un autre angle, qui se dévoile progressivement au fur et à mesure de l’ascension, et ne nous lâche plus jusqu’en haut, sous les contreforts du Pic Rouge de Pailla, et le regard bienveillant des Pics Astazou barrés en diagonal par le fameux couloir Swann. C’est ici que, dans les Choses vues, Victor Hugo a écrit un passage célèbre, à l’occasion de sa visite à Gavarnie, en 1843, quelques semaines avant la mort de sa chère fille Léopoldine : « C’est une montagne et une muraille tout à la fois. C’est l’édifice le plus mystérieux des architectes. C’est le Colosseum de la nature ; c’est Gavarnie ». Le Colisée de la nature… Certains trouveront ça emphatique et par trop exagéré,  moi je trouve ça très juste. Il faut le voir pour le croire. Et pour le voir, il faut le ressentir avec les pieds. Pour cela, on a mille mètres depuis le début du Gave de Pau (sa source est la grande cascade) pour en profiter pleinement. Arrivés en haut, les orgues se turent : pas un souffle de vent, pas le moindre bruit, si ce n’est quelques bribes de voix humaines – lesquels humains eurent le bon goût de quasiment chuchoter – et le grincement de la mastication de nos sandwichs au jambon sec. Face à nous : 35 millions d’années de construction et déconstruction. Sur le candélabre face à ce tabernacle géologique, nous déposâmes notre cierge, avant d’entamer la dernière descente, à grands regrets, pour ma part, enivrés des cimes. La vue est à couper le souffle, je ne connais pas meilleur panorama que la vision de cette muraille, ce fond de cirque, cette brèche dont on jurerait la bouche souriante d’un géant qui aurait perdu une dent.

Il fallut la grande fraîcheur d’une petite piscine d’eau dégringolant du rocher, à quelques mètres de la fin de cette promenade de santé, pour me remettre les idées en place. Lesquelles n’ont qu’une obsession : revenir ici, au plus vite, et si possible plus longtemps.

F.S. août 2023

Photos (c) fredsabourin.com / Dommage qu'il n'y ait pas eu de temps en temps quelques nuages pour les contrastes...

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