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Le jour. D'après fred sabourin

La Vie d’Adèle

15 Octobre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma

 

  La Vie d'Adele

 

 

Film français d’Abdellatif Kechiche. 2h55. Avec : Léa Seydoux ; Adèle Exarchopoulos…Palme d'or Festival de Cannes 2013.

 

Adèle, dans sa vie, marche sans cesse au bord de ses propres failles, de ses fêlures, elle semble perpétuellement sur une ligne de crête et au fond du gouffre. A la fin de La Vie d’Adèle, ce qui demeure ressemble à l’absence, alors que la présence d’Adèle Exarchopoulos crève les yeux et l’écran pendant près de trois heures. Pas un plan où elle ne soit pas, Adèle. On ne fait pas seulement que la suivre : on est avec elle. Et pourtant… elle semble si souvent ailleurs, hors d’elle, sans aile oserait-on dire parfois.

 

La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, méritait-elle la Palme d’or à Cannes en mai dernier ? Peut-être, nous n’en sommes pas intimement persuadés. Evacuons d’emblée les sujets qui fâchent ceux qui ne verront ce film qu’au premier niveau de lecture, et ils seront probablement nombreux ! Le sujet – la naissance, vie, et mort d’un amour entre deux femmes – filmé dans tous les recoins des possibilités, avait tout pour coller à une actualité brûlante d’un hiver aussi froid qu’il fut agité et chiant, opposant les questions de sauvegarde de la civilisation pour des uns, de revendications de droits et d’égalité des autres. Le film est long – trop à notre goût – et il serait temps d’offrir une paire de ciseaux à Abdellatif Kechiche, qui n’en est pas à son premier essai. Comme il serait bien aussi que ce talentueux réalisateur filme de temps en temps autrement qu’en gros plans (très) serrés, tout en le remerciant d’avoir dans un court moment filmé les feuilles d’un platane baignées d’un automnal soleil, nous laissant respirer, un peu. Tu nous étouffes, Abdel, mais c’est sans doute pour mieux nous montrer le grain des peaux jusqu’à nous faire sentir leurs odeurs. Ainsi, le spectateur, qu’il soit consentant ou non, devient un des protagonistes du film.

 

Deux femmes, l'amour


La Vie d’Adèle est en deux chapitres. Le premier montre la naissance et la consommation d’un amour lesbien, à travers le regard d’une jeune adolescente en 1ère littéraire d’un lycée du nord de la France. Adèle – c’est donc son prénom – semble déjà hésiter, alors qu’elle ne devrait pas. Vie banale d’une lycéenne normale – presque trop – dans des cours de lettres où on lit La Vie de Marianne, de Marivaux (une lubie chez Kéchiche, rappelez-vous L’Esquive où les jeunes jouaient Le Jeux de l’amour et du hasard) avec une attention et un silence que beaucoup de profs – ils iront voir le film car ils lisent Télérama et écoutent France Inter – jalouseront certainement. Elle se sent différente, Adèle, sans vraiment savoir pourquoi, et pousse le bouchon jusqu’à essayer garçon et fille, pour voir si ce qu’elle ressent est bien ce qu’elle craint. Oui, Adèle, tu aimes les filles, ou plutôt la fille, cette Emma aux cheveux bleus, étudiante aux Beaux-Arts, au visage et au sourire déjà adulte, tout le contraire de toi. Au bord de la caricature, on verra par la suite l’environnement de l’une et de l’autre, une famille recomposée « moderne » pour Emma ; une famille à la pensée étroite du côté d’Adèle. Ses parents n’envisagent visiblement pas une seconde que leur fille puisse embrasser celle-là même qu’elle a invitée à dîner chez ses eux ce soir-là. Embrasser, et le reste… On l’a dit et répété : les scènes sexuelles, non simulées ni doublées, sont très très sensuelles et pour tout dire magnifiques, bien qu’elles posent au spectateur la première question à l’issue de cette première partie : Kéchiche aurait-il fait le même film avec des hommes qui se sodomisent ou se fellationnent une dizaine de minutes durant avec des han ! et des ha !  de jouissance ? Aurait-il eu la Palme d’or ? Se presserait-on aux portes des cinémas pour le voir ? Il est à craindre que non.

 

L'amour mate, à mort


C’est bien le second chapitre qui est le plus intéressant, le plus fort, le plus vif tout en étant le plus atroce. Emma, découvre qu’Adèle la trompe occasionnellement avec un homme (comble de l’ignominie) et lui ment. A ce moment crucial, une scène très belle en même temps que désespérée, on sent que le couple pourrait être n’importe qui d’autre : hétéro, homo, peut importe. Le résultat est le même : la blessure est profonde, irrémédiable, consommée, impardonnable. La confiance est brisée. La suite n’est qu’une lente descente vers l’abîme de la solitude subie, des regrets, du deuil, du cri du corps en manque de l’autre, et de l’absence, toujours l’absence, encore l’absence. En plus de celle d’Emma, Adèle doit supporter la sienne. Et nous avec.

Dans un ultime sursaut, une dernière tentative de sauver le navire du naufrage des sentiments, vient le moment couperet – qu’on ne dévoilera pas – que Kéchiche situe lors d’un vernissage des œuvres d’Emma. Adèle quitte la galerie, bientôt poursuivie par un garçon mais qui se trompe de côté de rue en voulant la rattraper (la symbolique est grossière mais ça marche quand même), et elle quitte la scène en disparaissant dans la rue, dans sa jolie robe bleue. 


Elle nous laisse seuls aussi, Adèle, avec cette cruelle question : que devient-on, quand l’amour est mort ?

 

 

F.S

 


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