"Homme, montagnes, immensité" (expo photographique)
Du 1er octobre au 31 décembre 2016, à l'Agence IMM (11 rue Porte-Côté à Blois), une exposition photographique de Frédéric Sabourin. Du lundi au vendredi de 9h à 12h et 14h à 18h. Entrée libre. Photos 60x40 cm sur plaque "Alu-Dimond" en vente, contactez-moi en message privé. Merci.
(c) Fred Sabourin. Octobre 2016.
Ton premier tour du monde.
Cinq ans. Voilà, ça y est, c’est fait. Cinq ans, cinq doigts d’une main. La valeur n’attend pas le nombre des années, dit le proverbe populaire. Ta valeur est grande, comme celle d’un enfant bien sûr, en perpétuelle construction, avec ce bouillonnement, ce foisonnement de questions, de remarques, de réflexions drôlatiques et de bons mots comme le dernier en date : « Le raisin… ça pousse sur un… raisainier ? » Mais oui bien sûr, évidemment, enfin quoi vous ne saviez pas ?
Ta curiosité est insatiable – c’est de ton âge – et ma passion pour l’histoire et la géographie nous mènent tous deux sur des chemins de découvertes - ou de redécouvertes parfois pour ma part - du monde tel qu’il est. Je veux parler du monde vu sous l’aspect géographique : terres, mers et océans, montagnes et plaines, vallées et collines, animaux et insectes qui le peuplent, pays et frontières, climats et courants marins. Enfin tout.
Quand j’avais à peu près ton âge, on m’a offert un cadeau que je n’ai jamais oublié, et qui m’a suivi une grande partie de ma vie : un globe terrestre, doté d’une installation électrique et d’une ampoule pour le rendre lumineux. Combien d’heures – il est possible qu’en les additionnant on atteigne de nombreux jours – ai-je passé à rêver devant ce globe, ses couleurs, ses noms barbares par endroit, plus familiers à d’autres, ses pôles énigmatiques et ses étendues vastes comme des continents. Le monde ne tournait déjà pas très rond – la Guerre froide livrait ses derniers assauts mais nous ne le savions pas encore, et les chenilles des chars envahissaient le poste de télévision en même temps qu’elles martelaient l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak. Je me souviens qu’on lisait encore sur les cartes « URSS », « RDA », et « Yougoslavie ». Je voyageais, le globe posé sur la table de chevet, assis au bord du lit, imaginant qu’un jour, je poserai le pied dans tel ou tel pays ou me baignerai dans telle ou telle mer. J’ai réalisé certains de ces rêves géographiques, mais hélas je suis loin d’avoir fait « le tour du globe » ! Il reste encore un peu de temps.
Aujourd’hui, quelle n’est pas ma fierté lorsque, dépliant une carte ou dépoussiérant le globe qui agrémente ma bibliothèque, tu te penches dessus en parcourant de ton petit doigt les contours d’un pays, les lignes gracieuses des routes et chemins, franchissant les mers comme d’autres sautent par-dessus un ruisseau… La géographie est un jeu, et son apprentissage passe par le corps, même si au début on ne quitte pas la chambre ou le salon. « Pour l’enfant amoureux de cartes et d’estampes, l’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir, que le monde est petit ! », poétise Beaudelaire. Un peu plus loin : « Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent d’espace et de lumière et de cieux embrasés ; la glace qui les mord, le soleil qui les cuivre, effacent lentement la marque des baisers ».
Je suis allé acheter un globe, pour te l’offrir, car rien ne pourra jamais remplacer le plaisir de la carte, surtout pas le « GPS ». A cinq ans, avoir envie de découvrir le monde, essayer d’en imaginer ses contours, son immensité, son incroyable richesse et ses multiples variétés, quoi de plus naturel ? Tu perceras jour après jour, année après année, les mystères de ce monde si fascinant, effrayant parfois (et même souvent), sans cesse à découvrir, en suivant de tes doigts terres, mers, océans, pôles et frontières, en suivant l’équateur ou le méridien de Greenwich… Quand tu sauras lire – ce qui ne tardera plus maintenant – tu pourras t’écorcher les lèvres en prononçant quelques noms exotiques, les ex-Républiques soviétiques et leurs capitales, les quatre principales îles japonaises ou le petit Etat du Lichtenstein (liste loin d’être exhaustive). Tu apprendras à le connaître de tes yeux, depuis le bord de ton lit, avant - qui sait ? - d’en faire le tour. Tu ne perdras jamais ton temps à apprendre la géographie, les cartes et les plans. Tu sauras où tu es, tu sauras où tu vas, tu sauras d’où tu viens. Cette mémoire des cartes et des plans – et leur orientation - t’évitera la cruelle condamnation de ceux qui se sentent perdus dès qu’ils ont quitté leur coin de rue.
Ce globe est rond, mais le monde a quatre coins : à toi d’en faire le tour, mon petit, et si mes forces peuvent encore durer un peu de temps pour que je t’y accompagne alors : « allons voir ! ».
C’est quoi, le problème avec les « migrants » ?
Entre le 28 janvier, et le 13 février 1939, près de 500.000 réfugiés Républicains espagnols vinrent chercher asile en France, fuyant les troupes de Franco, suite à la chute de Barcelone le 26 janvier. Ce vaste mouvement d’exil forcé porte le nom de Retirada. Il faut aujourd’hui produire un effort d’imagination conséquent pour comprendre la situation, inédite, et dantesque pour l’époque : la population des Pyrénées-Orientales avoisine 230.000 habitants à la fin des années 30. En quinze jours, un afflux d’hommes en arme, mais aussi de femmes, d’enfants, de vieillards et de blessés arrivent aux principales voies frontalières, dont la plus célèbre – car la moins élevée – est le col du Perthus. Deux fois la population du département, en deux semaines ! C’est considérable.
Matthieu Ricard, jusqu'au bouddhiste de la photo
Exposées durant les Promenades photographiques de Vendôme jusqu'au 18 septembre, les photos du moine bouddhiste Matthieu Ricard étaient vendues aux enchères le 6 septembre par maître Rouillac père et fils, au profit de son association "Karuna Shechem". Rencontre privilégiée avec un homme touché par la grâce.
"Pourquoi je fais des photos ? Pour faire ressortir la beauté de la nature, et la beauté intérieure de l'être humain. Je fais de la photo parce que c'est ma façon favorite de perdre mon temps". On l'écouterait des heures, Matthieu Ricard, moine bouddhiste tibétain depuis plus de 40 ans, et photographe depuis l'âge de 13 ans. "Au début, je photographiais tout et rien, des flaques d'eau... Ma famille disait : ne demandez pas des photos à Matthieu, ça ne sert à rien. Pendant longtemps, pour illustrer mes livres, je mettais mes propres photos. Les gens disaient : qui est-ce qui a pris les photos ? A partir du moment où j'ai fais du noir et blanc, on a commencé à s'intéresser à elles..."
Le château du Rivau est sans rival
"J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique, la ville et la campagne, enfin tout. Il n'est rien qui ne me soit souverain bien. Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique".
(La Fontaine).
Le château du Rivau (Indre-et-Loire) à quelques kilomètres au sud de Chinon, sur la commune de Léméré. Splendide découverte de ce bâtiment XVe siècle, aux jardins "de conte de fées" et expositions d'art contemporain. Construit par Pierre de Beauvau à partir de 1440, Jeanne d'Arc vint y chercher des chevaux avant de monter à Orléans et Jargeau via Blois et Meung/Loire. Propriété et restauration depuis 1991 par la famille Laigneau, Patricia et Caroline. Hors des sentiers battus et des châteaux archi connus, un lieu à découvrir absolument...
Grandir, une philosophie
Et de deux ! La deuxième dent est tombée en même temps que le pain-beurre-confiture de myrtilles, dimanche matin à quelques encablures de la rentrée des classes. Une souris doit être en train de compter ses sous, pour qu’ils changent de poche…
Tu étais si fière de ta deuxième dent, qui a bougé tout l’été, voilà qu’à quelques mètres de l’automne, alors que les marronniers des cours d’école, de nos villes et de nos places tombent leurs fruits mûrs en attendant les feuilles qui roussissent déjà elles aussi.
Mais le changement de dentition n’empêche pas les questions philosophiques. Après « les oiseaux qui se posent sur les antennes, tu crois qu’ils regardent la télé ? » (pragmatique, la môme) la deuxième dent nous fait entrer dans la pensée profonde des questions existentielles, digne des grecs qui, assis sur du marbre frais, pensaient fort bien dans leur cerveau surchauffé. Alors que je disais, comme ça, un peu benoîtement : « c’est que tu grandis, ma chère… », tu m’as répondu : « oui, mais je ne sais pas bien pourquoi… »
En voilà une bonne remarque ! Pourquoi grandir, pourquoi grandit-on ? Fatalité, diront les uns. Consommation de soupe, dirons les anciens, qui ont tout fait pour nous faire avaler des litres de ce breuvage pas toujours à la hauteur de la préparation. Parce que c’est comme ça, diront les cervelles usées – parfois prématurément – par l’absence de poésie et de lyrisme.
Le poète mystique allemand du XVIIe siècle Angelus Silesius écrivait déjà : « la rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit. N’a souci d’elle-même, ne cherche pas si on la voit ». Le philosophe, allemand lui aussi (décidément !), Martin Heidegger a commenté ce célèbre vers, précisant que si la rose était « sans pourquoi », elle n’était pas pour autant « sans raison ».
Raison raisonnable et raisonnante : voilà bien un beau début, du haut de tes cinq ans, de philosophe en herbe. J’en connais à qui ça ne plaira pas, mais bien d’autres à qui ça plaira.
Continue de réfléchir, petite apprentie philosophe. Pose-toi les bonnes questions. Pas sûr que tu aies les réponses tout de suite, mais il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour essayer.
Le feu sous la glace
Le Cirque de Troumouse (Hautes-Pyrénées, départ de Gèdre), bien moins connu que celui de Gavarnie, offre des vues splendides sur le bouleversement tectonique subit par les Pyrénées lors de la poussée de la plaque eurasienne par la plaque africaine. La couche de roches sédimentaires la plus récente est passée, par le jeu du plissement, « cul par-dessus tête » pour se retrouver, par endroit, au dessous de la couche hercynienne le plus ancienne. Longtemps, cette incongruité de la nature interrogea les premiers découvreurs de ces chemins d’altitude qu’ils frayaient sous leurs pieds.
Face à l’imposante muraille qui s’ouvre devant nous, au levé du jour, domine le Pic de la Munia, un 3133 mètres qui ne peut se vaincre qu’au prix d’une course « mixte », comme on dit. D’abord on marche normalement, puis on se saisit de la neige qui persiste dans l’étroit couloir entre deux murs de roches (offrant ce que l’écrivain italien féru de montagnes nomme « une indulgence de la nature »), puis on escalade deux dalles un brin glissantes mais sans grande difficulté (la « dalle Passet » et le « pas du chat »). Enfin, on termine par trois quart d’heure de crête tantôt aérienne, tantôt facile, pour enfin s’asseoir au sommet et ouvrir un bocal de pâté.
Il y a deux ans, le couloir de neige nous avait, mon camarade et moi, causé du souci à cause d’un oubli volontaire de crampons. Cette fois-ci, pour la troisième ascension de la Munia – première en solitaire – j’ai pris grand soin de ne point les laisser au chaud dans la voiture. Aussi étrange que ça puisse paraître, je n’en ai pas eu besoin. Au lieu de passer sur la neige, je suis passé dessous. Le névé, dans un état avancé de fonte, mais sur une très forte pente, offrait quelques ponts de neige peu engageant à bien y regarder. La rimaille (espace entre la neige ou la glace et les parois rocheuses), a permis cette fois-ci de passer dans ce bref espace humide et froid, marqué par cette odeur inoubliable de roche humide, de terre gelée, et de vieille neige au nez à la fois rance et métallique. La sueur froide de la roche. Par moment, nous étions carrément dessous, au milieu d’un concert de goûtes d’eau froides tombées des voûtes de cette petite cathédrale de glace et de roches. Au sol, c’était tout sauf confortable. Chaque arrêt entraînait des trésors d’efforts pour maintenir les chaussures sur la pente aux cailloux roulant vers le bas. Un pas de 20 cm provoquait immédiatement une descente de 10. A ce rythme-là, on n’avançait pas vite, c’était certain. Mais avions-nous autre chose à faire ce matin-là ?
A l’arrivée en haut, entouré des géants au loin que sont les « Trois sœurs » (Soum de Ramond, Mont Perdu, Cylindre), du Casque, Tour, Taillon, Vignemal à l’horizon, Pic Long, Néouvielle et Campbieil plus au nord), deux compères en grand bavardage et visiblement satisfait d’être ici. Le plus âgé (70 ans au compteur) se remettait d’un cancer avec récidive. Le plus « jeune » (65 ans à la toise) sortait d’une paralysie partielle d’une jambe. Ils débouchèrent une demi-bouteille de Madiran et nous avons bu ce vin nouveau de la renaissance. Le cul assis sur la roche chauffée à blanc par un soleil de gloire. Une heure à deviser sur les beautés de la montagne environnante. Sur les sommets faits, à faire ou à refaire. Puis deux heures de descente où je peinais parfois à les suivre tant ces vieux cabris galopaient, grisé par l’amitié autant que par le vin. Mis en bouteille au château. Débouché dans les cieux.
Pas une seule fois nous n’avons évoqué le contexte anxiogène de notre monde en guerre. Pendant une journée, nous l’avons oublié.
FS 14/08/2016.