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Le jour. D'après fred sabourin
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Lettre à Georges B.

16 Janvier 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

- Jeux interdits, jeux dangereux -

- Jeux interdits, jeux dangereux -

Cher Georges,

Tu me pardonneras cette familiarité j’espère. Tu es mort quand mon cerveau commençait vraiment à vivre, c'est-à-dire à peu près à l’âge dit de « raison ». A la maison, quand mon père y était encore, trônaient sur la platine comme on disait alors, des disques vinyles 33 tours, l’intégrale de Georges Brassens. Ton intégrale en somme. C’est à ce moment là que sont rentrés pour toujours dans mes oreilles des titres comme Les Copains d’abord, Le Gorille, Bancs publics, Le Parapluie, Une jolie fleur. Et des moins avouables comme Trompettes de la renommée, Misogynie à part, Fernande, etc. Plus tard – beaucoup plus tard – à la faveur d’une fin d’été un peu désœuvrée, j’ai acheté une guitare d’occasion, et j’ai commencé à me faire saigner les doigts dessus, comme dit l’autre, « l’homme en or ». La première chanson que j’ai su jouer en chantant en même temps fut La Mauvaise réputation, car les accords étaient très simples pour un guitariste débutant. Encore plus tard, je me suis coltiné la Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, ou encore L’Auvergnat, dont les accords en « barré » me donnent encore aujourd’hui des crampes à la main gauche. C’était comme ça, "Brassens, il avait des gros doigts", m’avait-on dit, alors il jouait beaucoup de choses en barré, et inventait des positions sur le manche pour palier ce défaut. Je n’ai jamais réellement su si c’était vrai, mais le fait est là : pour apprendre à jouer tes chansons, il faut non seulement d’abord beaucoup les écouter, mais plus encore avoir une souplesse du poignet hors pair.

Un jour, j’ai décidé de te faire écouter à une petite fille qui tient ma main au bout de mon bras de singe (gorille ?). D’abord celles pour toutes les oreilles, puis celles pour « pas toutes les oreilles ». Après l’avoir quelques années délaissée et jouée plus épisodiquement, j’ai ressorti la guitare de l’étui où elle dormait depuis (trop) longtemps. Re belote, il a fallut que je me ré-assouplisse les doigts et le poignet, en reprenant tes chansons. C’est revenu assez vite, beaucoup plus que je ne le craignais. Alors je me suis mis en quête d’autres chansons que je n’avais pas encore essayé, comme Tonton Nestor, Les Philistins, Les Passantes, La Ballade des cimetières, Mathilde, et Le Bistrot. Cette dernière je l’aime beaucoup. Elle évoque des souvenirs du temps où je trainais mes guêtres du côté des Abbesses, Pigalle, la rue Lepic, et derrière la colline Montmartre le quartier Championnet-Ordener, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.

« Dans un coin pourri, du pauvre Paris, sur une pla-a-ce. L’est un vieux bistrot, tenu par un gros dé-gueu-la-asse. Si t’as le bec fin, s’il te faut du vin première cla-a-sse, va boire à Passy, le nectar d’ici te dé-pa-asse ».

Elle a été de nombreuses fois reprise, souvent avec brio, et récemment je l’ai entendu sur France Culture (mais oui !) interprétée par Loïc Lantoine. Il m’a fichu un coup, le Lantoine, avec sa voix rauque dont on dirait justement qu’il en a bu pas mal du « nectar d’ici », à s’en matelasser le gosier justement... J’ai sorti la guitare de l’étui et c’était parti.

« Mais si t'as l' gosier qu'une armure d'acier ma-te-la-asse, goûte à ce velours, ce petit bleu lourd de mena-aces. Tu trouveras là la fine fleur de la po-pula-ace . Tous les marmiteux, es calamiteux, de la pla-ace. »

Evidemment, vu la « grandeur » du salon, quand je me décide à répéter tes chansons, Georges, la môme elle entend tout. Elle m’a même réclamé d’ouvrir l’autre étui, plus petit, pour en sortir la guitare d’étude ¾ que j’avais un jour ramené de Tarragone. Je lui ai installé sa petite chaise, et j’ai mis la ¾ entre ses bras, pour qu’elle imite. Ça fait parfois une drôle de cacophonie, mais enfin je me dis que ça n’est sûrement pas du temps perdu.

Cet après midi, il faisait froid, elle était un peu malade, j’ai décidé qu’on resterait au chaud à la maison. Elle m’a demandé de jouer, ce que je fis. Pour me chauffer la voix j’ai commencé par un de tes fils spirituel, Christian Olivier des Têtes raides, puis j’ai tourné la page où il y a Le Bistrot. J’ai recommencé plusieurs fois, jusqu’à ce que ça soit fluide. Elle « jouait » sur sa chaise, plaquant des accords imaginaires sur sa ¾. Et puis on est passé à autre chose, le soir est venu, le dîner aussi. Et là, entre deux bouchées de salade d’endives et un morceau de pizza (c’est la fête !), elle s’est mise à chantonner, prenant une voix la plus grave possible :

« Dans un coin pourri, du pauvre Paris, sur une pla-a-ce. L’est un vieux bistrot, tenu par un gros dé-gueu-la-asse. »

Je l’ai regardé, stupéfait, et elle a du penser un instant qu’elle avait dit une connerie (chanter à table remarque, c’est pas très correct, sauf pour un banquet de noces). Je lui ai dit : « et la suite ? » Elle m’a dit que c’était difficile, alors on y est allé à deux.

« Si t’as le bec fin, s’il te faut du vin première cla-a-sse, va boire à Passy, le nectar d’ici te dé-pa-asse ».

Et puis comme ça plusieurs fois jusqu’à ce que ça rentre bien dans son petit cerveau de môme de 4 piges. On a bien redis que « dégueulasse » ce n’était pas un mot à dire n’importe comment ni à n’importe qui, mais que dans la chanson ça passait, parce que c’était une chanson, justement et qu’il y avait un contexte.

En la couchant quelques instants après, je me suis dit deux choses : d’abord que j’étais quand même très fier qu’elle retienne déjà tes chansons (elle m’avait déjà fait le coup avec « gare au gori-i-i-i-lle » mais c’était juste le refrain). Et la deuxième chose que je me suis dit c’est que j’allais quand même faire gaffe avec Mathilde, Fernande et Le Nombril de la femme de l’agent de police

Voilà mon cher Georges, j’espère que cette lettre te trouvera là où tu es, sinon ne t’inquiète pas, je sens qu’un jour elle et moi on ira faire un tour du côté de Sète, au cimetière. Ça nous changera de Jarnac et du caveau de Mitterrand (cf ci-dessous). 

Je t’embrasse tonton Georges.

« Dans un coin pourri du pauvre Paris, sur une pla-ace. Une espèce de fée, d'un vieux bouge a fait un pala-ace. » 

F.S

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Le Département de Loir-et-Cher va inaugurer un « Espace Michel-Delpech »

13 Janvier 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #Presse book

Lors des vœux aux personnalités de Loir-et-Cher le 11 janvier dernier, Maurice Leroy a annoncé qu’un « Espace Michel-Delpech » serait prochainement inauguré dans l’enceinte de l’hôtel du Département.

Le Département de Loir-et-Cher va inaugurer un « Espace Michel-Delpech »

Des personnalités comme s’il en pleuvait. Des stars locales et internationales aussi : Ludo le fou, l’homme aux 41 triathlons ironam consécutifs réalisés l’été dernier à Vendôme. Marie-Amélie Le Fur, athlète paralympique plusieurs fois médaillée. Frédéric Saussay, quadri-amputé des membres, qui va participer aux prochaines 24 Heures du Mans sur prototype. Françoise Delord, fondatrice du zooparc de Beauval (1,1 million de visiteurs en 2015), etc. Les 600 places de la Halle aux Grains de Blois pleine à craquer, plus le hall où allait se dérouler le cocktail, avec une retransmission vidéo devant un parterre débordant de retardataires. La sono diffusait discrètement des chansons de Michel Delpech, le plus loir-et-chérien des chanteurs de Courbevoie. Maurice Leroy, après un longue séance de poignées de mains à ses invités comme pour un mariage, pouvait entrer, et les vœux du Conseil départemental commencer.

Dans son discours de vœux, le président du Département a tour à tour convoqué Victor Hugo, André Malraux, Winston Churchill, le géographe très en vogue Christophe Guilluy (dont on peut lire une interview dans le sulfureux et utile mensuel Causeur), chantre des « périphéries » des petites villes moyennes et zones rurales, les « nouvelles fractures françaises ».  Et même – mais qui l’a noté ? – des accents gaulliens époque Algérie française : « Je le dis aux Loir-et-Chériens : nous ne vous abandonnerons pas ! Jamais ! » On connaît la suite…  

L’Espace Michel-Delpech

Il a fustigé comme on pouvait s'y attendre les baisses de dotations de l’Etat depuis 14 ans, qui coûtent 282 millions d’euros au Loir-et-Cher, face à François Bonneau, président de la Région Centre – Val de Loire étonnement présent dans l’assistance avec certains des conseillers nouvellement élus (Marc Gricourt, JP Charles, Audrey Rousselet, Pascal Usseglio secrétaire départemental du PS, etc.). Maurice Leroy espère « que l’avertissement très sérieux donné à la majorité sortante réélue à 0,75 points portera ses fruits et permettra d’ouvrir enfin un dialogue avec les six Départements de notre région. Je le souhaite et je le demande».

Avant que les invités happy few ne se ruent sur le buffet des saveurs préparées par des artisans et producteurs locaux, Maurice Leroy a appelé, en 2016, à « aller à la rencontre les uns des autres (…) Appuyons-nous sur les acteurs locaux pour innover, proposer, faire avancer notre Loir-et-Cher ! C’est par le bas que nous arriverons à faire avancer les choses».  

Mais auparavant il a lancé, après une rétrospective sur fond de « on dirait qu’ça t’gêne de marcher dans la boue », le scoop de son avant-dernière soirée des vœux (avant l'entrée en vigueur en mars 2017 de la loi sur le non-cumul des mandats) : pour rendre hommage au chanteur charmeur disparu le 3 janvier dernier - et en accord avec la famille du défunt - M. Leroy a annoncé que la galerie du cloître de l’hôtel du Département serait prochainement baptisée officiellement : Espace Michel-Delpech. « Ce s’ra bien, ce s’ra chouette, et l’on reparlera, des histoires du passé, chez Laurette »…  

F.S

 

Le Département de Loir-et-Cher va inaugurer un « Espace Michel-Delpech »
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François Mitterrand expliqué à ma fille

8 Janvier 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

- Au cimetière des Grand'maisons -

- Au cimetière des Grand'maisons -

Deux jours avant Noël, je t’ai emmenée au cimetière des Grand’maisons, à Jarnac, voir la tombe de François Mitterrand. Je vois déjà les sourcils des lecteurs se soulever en un mouvement brusque d’étonnement. « Mais que diable allait-il faire là-bas, avec une môme de 4 ans ? » Des photos, tout simplement. Un confrère non Charentais qui voulait faire un papier sur la personnalité complexe et aux multiples facettes de l’ancien président de la République, m’avait demandé si je pouvais passer dans ce lieu de pèlerinage socialo-républicain. C’était même un peu moi qui le lui avait proposé, enfin bref je m’étais dit que ça ferait une occasion de balade dans cette cité assoupie au bord du fleuve Charente. A quelques jours de la date anniversaire de son décès, ça pouvait avoir un charme provincial désuet qui n’est pas pour me déplaire.

Nous sommes passés entre les chais de cognac, reconnaissables à leurs murs noircis par le fameux champignon issu de l’évaporation des eaux-de-vie à travers les fûts de chêne : la part des anges (1). Quand j’ai ouvert la portière de la voiture, une forte odeur de résidus de raisins en pourriture m’a sauté au nez. Et toi tu as dit : « hum ! ça sent bon ici ! » Tu avais déjà marqué un point de Charentaise que tu n’es pas, mais que tu apprendras à devenir.

Puis nous sommes entrés dans le cimetière, aux allures de jardin tranquille, paisible, dans la quiétude et la douceur d’une après-midi de décembre qui ressemblait plus à un début d’automne. A quelques mètres de l’entrée, dans la partie nouvelle du cimetière, un fossoyeur, dont la moitié du corps se trouvait dans le caveau qu’il était en train de creuser, tapait la discute avec un couple de gens âgés, mais pas encore trop, suffisamment pour se sentir visiblement très concernés par l’endroit. Je ne me suis pas rendu compte que tu chantonnais les refrains de Noël du CD qu’on écoutait en boucle depuis trois semaines. Je t’ai dit : « chuuut ! moins de bruit ! c’est un cimetière ici ! » Et toi, sans te démonter, tu as répondu : « ah bon ? pourquoi ? Et alors ? » Oui, c’est vrai ça, pourquoi ? A dire vrai ce ne sont pas les locataires d’en dessous que ça va déranger et qui vont s’en plaindre…

 - Suivez les flèches -

- Suivez les flèches -

Nous avons suivi les panneaux indiquant la tombe que nous allions voir, celle de François Mitterrand, c’est très simple, c’est fléché. Nous avons tourné dans une allée plus ancienne, près de grands cyprès, et nous avons avancé jusqu’à l’endroit. « C’est là », j’ai dit. « Là quoi ? » as-tu répondu. « C’est là la tombe que je voulais voir, pour la prendre en photo ». Ca faisait longtemps que je n’y étais pas venu, environ quatorze ou quinze ans. La dernière fois, les deux gars que j’avais emmenés avaient ensuite raté leur train car j’avais mal calculé le temps pour revenir de Jarnac. Nous avions ri de cette farce élyséenne. Puis j’ai sorti l’appareil photo et j’ai shooté discrètement, avec une force tranquille, la tombe de François Mitterrand. Tu m’as demandé qui c’était, vu que la veille, déjà, je t’avais emmené dans un autre cimetière voir la tombe de tes arrières grands-parents, mes grands-parents. Je t’ai dit que c’était la tombe de François Mitterrand, un président de la République, que c’était un peu compliqué pour ton âge, mais qu’un jour tu comprendrais. J’ignore si la réponse t’a satisfaite, mais elle ne t’a pas déplu non plus. Et puis j’ai eu cette idée saugrenue, vu qu’il y a un banc en pierre en face du caveau, de caler le Nikon sur la sacoche de rangement et d’armer le retardateur, pour se prendre en photo devant la tombe de Mitterrand. Drôle d’idée quand j’y repense en vérité, moi qui n’ai pas une affection outre mesure ni outre-tombe pour le personnage, malgré le point commun d’avoir été, à environ un demi siècle d’écart, élève dans le même collège (Saint-Paul d’Angoulême). Je me suis aussi souvenu que, le lendemain de sa mort le 8 janvier 1996, alors jeune étudiant en histoire à Paris en Sorbonne, je m’étais spontanément rendu avenue Frédéric-Le-Play signer un livre de condoléances, « au nom des anciens élèves du collège Saint-Paul d’Angoulême », en songeant à tout ce qu’il avait pris dans la figure par les jeunes gommeux de droite mal dégrossis que nous étions alors… 

François Mitterrand expliqué à ma fille

Le retardateur a fait son boulot, j’ai doublé la photo « au cas où » et je t’ai photographiée aussi devant le caveau. En regardant le résultat ensuite, sur l’écran de l’ordinateur, je m’aperçois que sans faire exprès je tire une tronche un peu comme lui, bouche pincée et les yeux plissés ; et toi tu affiches un grand sourire comme si on allait faire des tours de manège. Tu as alors dit : « tu le connaissais ce monsieur ? » et je t’ai répondu « non, pas directement, enfin si un peu ; je l’ai vu à la télé. » Puis je t’ai dit : « Il n’était pas vraiment socialiste et pourtant il en fut probablement son principal fossoyeur ». Tu m’as fixé et tu as dit, très sérieusement : « on y va ? » J’ai regardé une dernière fois l’intérieur du caveau et on est parti. Comme ça ne t’avais pas coupé l’appétit, arrivé à la voiture tu as goûté. Et moi, songeur, j’ai compté les grains de raisins secs des tranches de panettone que tu étais en train d’engouffrer joyeusement. Je songeais aussi que pour beaucoup de ceux qui avaient rêvé d’une vie en rose au lendemain du 10 mai 1981, les raisins de la colère avaient eux aussi été rapidement bien secs.

Vingt ans après sa mort, on en est toujours au même point.

F.S

  1. En réalité et moins poétique, le torula compniacensis, un champignon microscopique qui se nourrit, le veinard, des vapeurs d’alcool. 
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La BD est-elle misogyne ?

6 Janvier 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement

- Au FIBD 2014 -

- Au FIBD 2014 -

L’auteur Riad Sattouf avait demandé à être retiré de la liste des prétendants au Grand Prix du 43e Festival de Bande dessinée d’Angoulême (FIBD). Il dénonçait l’absence de femmes dans la liste des nominés. Le Festival a plié et va faire machine arrière.

Face à la polémique qui ne cessait d’enfler, le Festival de la Bande dessinée d’Angoulême a fait savoir mercredi 6 janvier dans la soirée par un communiqué de presse qu’il va, « sans enlever aucun autre nom, introduire de nouveau des noms d'auteures dans la liste des sélectionnés du Grand prix 2016 ». Comment en est-on arrivé là ?

Riad Sattouf, auteur de L’Arabe du futur (Fauve d’or au 42e FIBD en 2015) avait lancé un coup de crayon dans la mare mardi 5 janvier. En découvrant la liste des prétendants au Grand Prix, il avait constaté qu’aucune femme dessinatrice ne se trouvait parmi les 35 de la short list. Il a alors demandé le retrait de son nom dans cette liste. Le Grand Prix du FIBD récompense en effet la carrière d’un auteur et son oeuvre (1), et permet d’entrer définitivement dans la postérité du monde de la BD, fortement concurrentiel. En trente ans d’existence, seule Florence Cestac en 2000 a obtenu l’équivalent de ce « César d’honneur » du monde de la BD. Claire Brétecher avait obtenu un prix spécial « 10e anniversaire » en 1983, pour fêter les dix ans du festival. Et c’est tout.

Le collectif des créatrices de bande dessinée n’avait pas tardé à dégainer les fourchettes caudines : aucune femme sur la liste ? Elles se sont pratiquement étranglées : « Nous nous élevons contre cette discrimination évidente, cette négation totale de notre représentativité dans un médium qui compte de plus en plus de femmes. » Un prix aux impacts non négligeables dans une carrière, selon elles : « Ce prix n’est pas seulement honorifique, il a un impact économique évident : les auteur(e)s vont être mis en avant médiatiquement, la distinction aura un impact sur la chaîne du livre dont bénéficieront libraires, éditeurs… et l’auteur(e) primé(e) ». Le collectif appelait au boycott pure et simple du scrutin.

- Bruno Génini (à g.), directeur de BD Boum à Blois -

- Bruno Génini (à g.), directeur de BD Boum à Blois -

Alors pourquoi cette cruelle absence des femmes auteures dans la sélection initiale du Grand Prix 2016 ? Selon le directeur de BD Boum, « On est dans la boulette, je ne vois que ça. Après, chaque année il y a des polémiques autour du festival d’Angoulême, d’autant plus depuis que l’académie du Grand Prix a été évincée il y a quelques années (2). On peut se poser la question de savoir qui prépare cette sélection. A BD Boum, le jury est composé de 3 membres de l’organisation du festival, des journalistes et les anciens Grands Boum ; un fonctionnement plus proche de l’ancienne académie d’Angoulême ». N’y aurait-il pas aussi de fortes pressions des éditeurs sur la manière de sélectionner les albums prétendants au Grand Prix, quand on sait les retombées d’une telle récompense ? « Tous les ans on en parle, certains éditeurs sont très présents dans la short list, Cornelius pour ne pas le nommer l’année dernière. Je ne sais pas si on peut voir de la polémique partout… » ajoute Bruno Génini.

Joann Sfar, Charles Burns, Daniel Clowes, Etienne Davodeau avaient décidé d’emboiter le pas de Riad Sattouf, faisant monter la mayonnaise à grande vitesse. La direction du festival a plié. Il y aura bien des auteures prétendantes à ce prestigieux prix.

En 2015, 6 auteures avaient été sélectionnées parmi les 35 albums en course pour le Grand Prix. 4 sur 32 en 2014. 3 sur 32 en 2013. En 2015, le Grand Prix a couronné le Japonais Katsuhiro Otomo, qui présidera la 43e édition du festival angoumoisin, du 28 au 31 janvier.

F.S

 

  1. André Franquin avait reçu le premier Grand Prix. Ont été inscrits au palmarès des auteurs comme Moebius, Wolinski, Fred, Art Spiegelman ou Bill Watterson. 
  2. Il a été remplacé il y a deux ans par un collège de 3.000 votants, qui représente l’ensemble des auteur(e)s de bande dessinée professionnel(e)s. 

 

PS : le titre auquel vous avez échappé : "A la BD d'Angoulême, Sattouf veut qu'il y ait plus de touffes". Ouf ! 

- Où sont les femmes ? -

- Où sont les femmes ? -

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Michel Delpech, "quand j’étais chanteur"

3 Janvier 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement

L’artiste est décédé des suites d’un cancer, dont il souffrait depuis 2013. Il était familialement lié au Loir-et-Cher, dont il avait chanté le charme si tendrement désuet en 1977.

Michel Delpech en 2014. (Photo AFP Joël Saget)

Michel Delpech en 2014. (Photo AFP Joël Saget)

Michel Delpech est mort et avec lui le Loir-et-Cher perd, à son corps défendant parfois, son plus bel ambassadeur. Sa chanson titre, sortie en 1977, colle à la peau des Loir-et-Chériens aussi sûrement que le sparadrap du capitaine Haddock. « Ces gens-là ne font pas de manières » comme le dit la chanson n’ont pourtant que très peu goûté ce tube très seventies, époque moustaches et chemises à cols pelle à tarte. En voilà bien des manières au passage ! Etait-ce à cause du refrain, « On dirait qu’ça t’gêne de marcher dans la boue » ? Ou bien est-ce parce que celui qui passait autrefois ses vacances chez ses grands-parents à Dhuizon ou chez un oncle et une tante à la Ferté-Saint-Cyr n’avait « jamais eu grand-chose à leur dire » ? Les Loir-et-Chériens, peut dissertes sur eux-mêmes, timides et réservés, jaloux de leur triptyque Beauce-Loire-Sologne aussi sûrement que d’une Trinité de Roublev, ne l’avoueront jamais. Plutôt mourir, et c’est bien dommage.

Autodérision

C’est à la faveur d’un échange estival lors de cette fichue année 2015 « loin, d’ici » comme le dit une de ses chansons, que nous est venue, in fine, la réponse possible. Michel Drucker venait d’annoncer quelques semaines plus tôt que son ami Michel Delpech allait mal, très mal, et qu’il « ne passerait pas septembre ». On devisait, à l’heure de l’apéro, sur le chanteur emblématique des années 70, dont beaucoup – à commencer par l’auteur de ces lignes – avaient été bercés par ses mélodies entrainantes, entêtantes pour certaines, sonnant toujours juste. « C’était bien, c’était chouette... »

Un ami, par ailleurs chasseur et grand amateur de la chanson éponyme de Michel Delpech, nous dit alors, en évoquant la chanson « mal aimée » du Loir-et-Cher : « c’est parce que tes péquenauds n’ont pas compris qu’avec un peu d’autodérision ils pouvaient justement sortir de leur condition de culs-terreux » (sic). C’était dit sans hargne ni haine ni violence, juste avec ce qu’il faut d’ironie amicale so british, entre deux saucisses sur un barbecue et quelques  verres de rosé du pays d’Oc. Naturellement, n’étant pas Loir-et-Chérien, « la distance qui nous protège de nous même » pour paraphraser Antonin Artaud nous aida à apprécier la fulgurance. Mais cela nous laissait perplexe, quand même…

J’les aime depuis toujours !

Une « chanson de péquenaud sur des péquenauds » donc. Diantre ! Comment allait-on leur dire ça, sans se prendre un coup de pied au cul beauceron ou une volée de plombs solognots dans le jarret ? Mais enfin c’était peut-être ce qu’il avait voulu dire, Michel, avec sa moustache des années 70 qui le faisait ressembler à un petit cadre bancaire, en pantalon de tergal, et cravate lie de vin sur chemise à col pelle à tarte. C’était peut-être une façon de dire, pour celui dont les racines familiales sont enterrées dans la boue et sous le marbre du cimetière de Dhuizon : « avec un peu d’humour, vous pourrez vous en sortir ». Sortir de votre trou quoi. Notez le contraste entre la magnificence des châteaux de Blois, Chambord, Cheverny, Chaumont et Villesavin, Beauregard et Fougères, les rois et reines, princes et hobereaux qui les peuplèrent ; et le peuple d’aujourd’hui, un peu coincé, un peu engoncé sur place par ce maudit complexe d’infériorité et cette réserve maladive qui fait perpétuellement se comparer un habitant de Loir-et-Cher avec ses « rivales » Tours et Orléans, pas beaucoup plus glamour pour autant.

En se considérant un peu plus avec fierté, les habitants du Loir-et-Cher, « ces gens-là qui ne font pas de manières », pourraient peut-être se consoler, non ? Tiens en écoutant Michel Delpech par exemple. « Je n’ai jamais eu grand’chose à leur dire mais j’les aime depuis toujours. » Vous avez entendu ? « J’les aime depuis toujours » !

Ah ! Quand on a que l’amour… 

Michel Delpech, "quand j’étais chanteur"

 

Michel Delpech en quelques dates :

 26 janvier 1946 : naissance à Courbevoie.

1964 : premier 45 tours Anatole sort chez Vogue.

1965 : participe à la comédie musicale Copains Clopant et décolle vraiment avec Chez Laurette.

1966 : mariage avec Chantal Simon (Ils auront deux enfants : Garance et Barthélémy avant de divorcer en 1976). Fait la première partie de Jacques Brel à l’Olympia.

1970 : Pour un flirt.

1973 : Les Divorcés, Que Marianne était jolie. 1974 : Le Chasseur. 1975 : Quand j’étais chanteur.

1977 : Le Loir-et-Cher.

S’en suit une grande période de doutes et de dépression.

Revient sur la scène en 1985 après sa rencontre avec Geneviève Garnier-Fabre, et sort l’album Loin d’ici. Plusieurs albums sortiront régulièrement. De son second mariage naît un fils, Emmanuel, en 1990.

2004 : l’album Comme vous lui permet de se produire aux Francofolies de La Rochelle et aux Festival des Vieilles charrues.

Depuis février 2013 Michel Delpech souffrait d’un cancer. Après une rémission en 2014, il s’est éteint dans la soirée du 2 janvier 2016 à l’hôpital de Puteaux (Hauts-de-Seine). 

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This is the end...

31 Décembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

2015 s'achève... Sans regret. Heureusement, demeureront tout de même quelques belles images, comme celle-ci. 

2016, année de ? 

(à suivre...) 

- Bouillouses -

- Bouillouses -

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Comme si de rien n’était…

14 Décembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #Presse book

François Bonneau et la liste « A fond ma région » conserve le pouvoir à la tête de la Région Centre à l’issue d’un second tour très serré. Et contre toute attente.

- On ferme ! -

- On ferme ! -

Quand, le 2 juillet 2000, l’arbitre accorde quatre minutes de temps additionnel aux joueurs du match France-Italie en finale de l’Euro de foot, il ne sait pas encore que trois minutes plus tard, le gardien de buts Fabien Barthez tirera un dernier coup franc loin des seize mètres. Le ballon de cette ultime relance - alors que l’Italie mène un but à zéro et s’apprête à faire péter les bouchons de champagne - effleure la tête de David Trézéguet, puis de l’italien Fabio Cannavaro et place cette balle dans une situation idéale pour l’attaquant bordelais Sylvain Wiltord, qui contrôle, tire du pied gauche et marque le but de l’égalisation, sous les yeux médusés de millions d’Italiens qui attendaient un titre depuis… 1982. La suite, on la connaît : les Italiens savent désormais comment reboucher une bouteille de champagne. Depuis dimanche 13 décembre dernier, l’union de la droite et du centre le sait aussi. La liste d’union de la gauche menée par François Bonneau (PS), a été réélue à la tête de la Région Centre, de 9.000 voix.

Le passage était étroit, quasiment le chas d’une aiguille, mais il l’a trouvé, et s’y est engouffré. Alors même que la droite (L.R, UDI, Modem) le donnait perdant depuis des mois, et particulièrement les jours précédant la saint Nicolas. Alors même que le FN l’a fait vaciller le 6 décembre lors d’un premier tour décevant pour tout le monde, sauf lui. Si la région Centre ne brillait pas par l’absence de sommets – dans tous les sens du terme – on pourrait presque comparer François Bonneau à une sorte d’alpiniste trouvant un improbable passage entre deux dièdres, et en surplomb par-dessus le marché !

Beaucoup de bruit pour rien ?

Mais que s’est-il donc passé dimanche dernier ? Au fond, pas grande chose, et parions qu’on va très vite tourner la page, s’occupant désormais des vrais sujets d’actualité. Comme les cadeaux de Noël par exemple, ou le bourrage de dindes - qui n’ont rien demandé - avec des marrons ; les hectolitres de champagne tiède et de bûches glacées. Que s’est-il donc passé ? Se souviendra-t-on dans quinze jours que le Front national, ce parti républicain danger légal et autorisé pour la République, a réalisé des scores historiques en région Centre les 6 et 13 décembre ? Au point de déclencher un autre état d’urgence, sonnant le branle bas dans tous les états majors politiques ? Combien de temps se remémorera-t-on cette folle semaine de l’entre deux tours des élections régionales 2015 ? Comme disait le grand penseur Pierre Desproges : « quand au mois de mars, je dis ça, c’est pas pour cafter, mais ça m’étonnerait qu’il passe l’hiver ». Ce mois de décembre ne devrait pas trainer non plus.

Pressions et mercato

Il s’est passé un de ces tours de passe-passe tel que la vie politique française les adore. On se dit et on entend à chaque fois qu’on ne nous y reprendra plus, mais, comme le matou de la célèbre chanson, il revient le jour suivant ; il est toujours vivant. La gauche - qui était partie désunie au premier tour, jouant la partie un peu comme la droite autrefois - la gauche s’est réunie entre les deux tours, et est allé chercher ses électeurs dans leurs lits, les trainant de gré ou de force dans les bureaux de vote. Pour cela, elle n’a pas ménagé ses efforts, listes électorales à l’appui. Mieux : elle a même joué un mercato géographique, plaçant qui en Indre-et-Loire au lieu du Loir-et-Cher, qui en Loiret au lieu de l’Indre-et-Loire. La gauche a aussi fait pression sur les syndicats qui ont gentiment relayé le message auprès des salariés qui y adhèrent encore, jusque dans les fonds de couloirs de grands centres régionaux de formation. La gauche a tracté, dans le froid glacial et blafard des petits matins de décembre, sur les marchés y compris devant des maries adverses… Finalement la gauche a rassemblé, au-delà de ses espérances.

Et pendant ce temps-là, devant la machine à café…

Et la droite ? Qu’a-t-elle fait ? Pareil, ou presque. La droite et le centre, uni comme un bloc de briques solognotes, sitôt le vrai saint Nicolas venu les encourager la veille du premier tour (c’était dans la poche, vous vous souvenez ?), la droite a d’abord essuyé ses sueurs froides. Philippe Vigier n’avait pas fait le score attendu, la faute à cette maudite abstention… et au siphonage de ses voies par le FN. La droite l’a dit, et même crié : « on a entendu votre colère, gens du FN ! Mais revenez chez nous, nous sommes les seuls à pouvoir alterner ! » Et il s’en est fallu de peu (à peine 9.000 voix) pour que ça marche.

Quand au FN, il fait comme à son habitude contre mauvaise fortune bon cœur - même s’ils n’ont pas tous le cœur à gauche loin s’en faut. Et il regarde déjà vers la suite, dans toutes les têtes : 2017.

Ce matin, dans les rues de Blois, les camions poubelles ramassent les ordures, comme tous les lundis matin. Ce matin, comme tous les matins, il y a des bouchons sur les trois ponts qui enjambent la Loire à Blois, ce trait d’union entre Chinon et Jargeau, qu’une adolescente prétenduement pucelle remonta autrefois, brandissant l'étendard, « gouvernant d’un seul mot le rustre, ou le soudard…». Ce matin, en se rasant, peut-être que le jeune maire de Neung-sur-Beuvron repensera à cette citation d’Etienne de La Boétie qu’il lança lors du meeting de Bruno Le Maire le 30 novembre dernier à Blois : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Ce matin… à la machine à café des entreprises, des collectivités ou dans les bistrots on parlera quelques secondes du résultats des élections régionales. Puis la vie recommencera comme hier, comme si de rien était, avec cette question tiens par exemple : « alors, t’as fait tes courses de Noël ? »  

F.S

 

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Baguette magique

11 Décembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

- ça sent le sapin -

- ça sent le sapin -

Hier soir, sans prévenir, entre deux bouchées de coquillettes au comté râpé, tu m’as sorti cette fulgurance : « moi, j’aimerai bien avoir une baguette magique ! » J’ai cessé de mâcher, et je t’ai demandé, intrigué : « ah bon ? Et… qu’est-ce que tu ferais, avec cette baguette magique ? » Tu as répondu avec un sourire naturel à désarmer un militant du Front national : « Je transformerais M. (1) en étoile ». Moi : « Et… tu en ferais quoi, après ça ? » Elle : « Je le laisserais comme ça… » Et puis tu as repris une fourchette de coquillettes au comté râpé.

L’enfance - tout le monde le sait - est une source i-né-pui-sa-ble de surprises, de spontanéité sans calcul, de joies et d’émotions simples. On peut détester cela – et il s’en trouve. On peut être complètement gaga devant ça, au point d’en perdre le sens du discernement – et il s’en trouve. On peut aussi juste profiter de l’instant, de ces moments qui débarquent sans préavis dans le quotidien banal d’une vie banale. D'une vie de chien parfois. Là, on mangeait juste des coquillettes (de loin la forme de pâtes que je déteste le plus…), avec du fromage râpé pour les uns (elle) et de l’huile d’olive et de l’ail pour les autres (moi). Ca surgit, comme ça, et c’est tout. Ensuite, la vie reprend son cours, comme si de rien était

Dans le bordel actuel ambiant, alors qu’on sent une tension sociale crasseuse qui dégouline de partout, dans les rues, dans les commerces, dans les entreprises, dans les familles mêmes, ce genre de fulgurance de l’imaginaire débridé fait du bien. J’ai la faiblesse de le croire. Et même au pire, si par malheur un jour j’étais jugé et condamné pour ça sur un bûché des vanités, je ne regretterais pas d’en avoir été le témoin.

Parce que cela nous rappelle, ma chère petite, ce pour quoi nous sommes vraiment fait et ce pour quoi nous sommes là à trimer comme des chiens parfois sur cette « terre de désolation » : la beauté du rêve, l’immensité du rêve, de l’impossible, de l’inaccessible, de l’incompressible. L’incroyable et pourtant réelle beauté d'une envie de changer les choses, juste d’un coup de baguette magique

 

  1. LE copain. 

 

FS. 11/12/15

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Le terrorisme expliqué à ma fille

17 Novembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #quelle époque !, #Lettres à ...

 

Ma chère enfant, il y a onze mois, j’ai déjà écrit un texte qui commençait par le même titre. Je ne l’ai jamais publié, il est resté à dormir dans le dossier « textes 2015 » d’une clé USB qui ne quitte pratiquement jamais ma poche. A l’époque – qui semble déjà si loin – toute une rédaction de dessinateurs caricaturistes était tombée sous les balles de Kalachnikov, ainsi que des clients d’un supermarché casher. La traque de deux des assassins s’était terminée dans les conditions que l’on sait, et dont nous avons vu les images, scotchés aux médias, les jambes tremblantes. Le moment que nous avons vécu, dès le début de l’année alors qu’il restait un peu de buche de Noël dans le frigidaire et qu’on avait à peine rangé les guirlandes et boules du sapin dans un  placard, était à la fois sidérant, terrifiant, tout autant que gonflé par l’espoir grâce à l’incroyable soulèvement solidaire des Français et même du monde. J’avais vu passer, ici ou là, des trucs pour « expliquer le terrorisme » aux enfants, la plupart en bande dessinée. C’était raccord avec le thème. Zep s’y étais mis, d’autres aussi, moins connus mais qui gagnent à l’être. Il faut reconnaître un certain « avantage » aux illustrateurs pour ce type de question à l’adresse du jeune public. Du coup, j’avais essayé de t’écrire moi aussi quelque chose, que je n’ai pas trouvé assez fort sur le moment et pourtant je voulais que ça sorte de mes tripes. Mais ça n’est pas sorti. J’ai laissé tomber.

C’était sans compter sur ce vendredi 13 novembre, où nous venons de franchir un pas définitif dans la terreur, la stupeur, l’horreur et tout le tremblement. Les mots nous manquent pour décrire tout cela. Trois jours après, lundi 16, tu as toi aussi fait ta minute de silence, à l’école maternelle (qui n’a jamais aussi bien portée son nom), dans ta classe, naturellement.

Je suis venu te chercher à quatre heures de l’après midi. Le ciel était gris, sans caractère, un ciel gris tout mou qui ne dit ni oui, ni non. Il faisait doux, et les feuilles mortes des arbres jonchent le sol désormais. Elles sont marrons, et, par endroit, elles forment une sorte de boue plutôt glissante, pas très avenante. La ville était très calme, mais ici ça n’est pas dû aux attentats de vendredi soir : dans une petite ville moyenne telle que B., le lundi c’est calme, tous les commerces ne sont pas ouverts, la circulation est fluide. On dirait presque un jour de vacances. On en est loin.

A l’heure pile, la grille de l’école s’est ouverte, et les parents sont entrés pour aller chercher les enfants qui ne restaient pas à l’accueil loisirs périscolaire (le truc des rythmes scolaires qui a énervé tout le monde il y a deux ans). Je ne t’avais pas vu depuis trois jours, je me suis demandé comment tu avais entendu parlé de tout ça. Tu es sortie de ta classe et je t’ai demandé comment tu allais. « Pas trop bien », m’as-tu répondu, le regard fuyant. « Ah bon ? Pourquoi ? » Et tu as expliqué que tes lunettes – une nouveauté depuis vendredi – te faisaient un peu mal au nez. Sur le chemin du retour, tu m’as dit : « M. m’a tiré la langue ! Je l’ai dit à A., qui va lui tirer les oreilles ! » J’ai entendu ça pendant que je réfléchissais toujours à la façon dont j’allais essayer de t’expliquer le terrorisme… Du coup, j’ai fermé ma gueule. On est rentré en se courant après genre « attrape-moi si tu peux » et en grimpant sur les murettes. La liberté. L’insouciance. La vie.

Pour le goûter, il y avait une demi-pomme, un carré de chocolat, du jus de pomme, un petit morceau de gâteau aux noix. Je me suis aussi épluché une pomme pour t’accompagner. Au bout d’un moment, le ciel était toujours gris dehors, je t’ai demandé si tu avais entendu la sirène à midi. « Oui » as-tu dit. « Et… vous faisiez quoi pendant ce temps-là ? » ai-je demandé, un peu hésitant. « On était en silence dans la classe. » Mon sang s’est figé. « Et tu sais pourquoi vous avez fait ça ? » Alors d’une traite, le plus calmement du monde, tu as dit : « Oui. C’est parce qu’il y a des gens qui sont morts à un spectacle. On leur a tiré dessus avec des gros fusils, comme des chasseurs, et dans la rue aussi. » J’ai dû reprendre mon souffle. « Et… tu sais dans quelle ville ça s’est passé ? » « Oui, à Paris. » A Paris où tu étais il y a quinze jours en balade avec ta maman…

… … …

Les points de suspension que vous venez de lire représentent les secondes – une dizaine ? Une trentaine ? Je ne sais plus – qui m’ont été nécessaires à la reprise de mes esprits. Toi, tu as continué de mâcher, toujours très consciencieusement.

On mangeait des pommes ; et en essayant de t’expliquer le terrorisme, je ne me suis pas rendu compte à ce moment-là que j’étais en train d’avaler les pépins.

 

FS 16/11/2015

 

(c) Terreur Graphique

(c) Terreur Graphique

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Les copains d’abord

16 Novembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #quelle époque !

"A la mémoire de nos frères dont les sanglots si longs faisaient couler l'acide". 

(B. Cantat). 

Les copains d’abord

La date avait été choisie bien en amont, lors du dernier week-end où nous nous étions retrouvés. C’était au début d’un bel été, et nous avions pris rendez-vous « à l’automne ». Certains avaient un peu regretté le choix de novembre argumentant qu’on ne pourrait pas se baigner dans la piscine. D’autres avaient ajouté, pour positiver : « on ira chercher des champignons ou des châtaignes, c'est bien aussi. »

Vendredi 13 novembre, neuf vieux copains « de trente ans » (comme on dit, mais cette-fois-ci c’est vrai) ont convergés vers le Limousin, à quelques encablures de Limoges et de Saint-Léonard-de-Noblat. De Paris, Versailles, Blois, Castres, Lyon, Châteauroux La Rochelle et Angoulême, les 8 jeunes quadragénaires se préparaient pour un week-end « entre potes ». Parce qu’on a la chance de pouvoir encore le faire. Parce que nous nous connaissons depuis des lustres. Parce que nous avons déjà partagé beaucoup de moments ensembles. Parce que nous nous aimons d’une vieille amitié virile tout autant que sincère, je le crois.

D’emblée, l’ambiance est montée, naturellement, comme d’habitude dirai-je. Les bonnes blagues, les petites vannes sur l’un ou l’autre se sont mélangées aux nouvelles plus sérieuses. Des nouvelles de la famille, de la vie professionnelle, de la vie personnelle. On a épluché quelques châtaignes et coupé du saucisson, ouvert des bières, remis un bûche sur le feu. En cuisine, des parfums venaient déjà caresser nos narines tandis que nous guettions l’arrivée de l’un ou nous inquiétions du retard d’un autre. Quand tout le monde fut arrivé, nous avons enfin pris l’apéro, car la bière c’est juste pour la soif et la joie des retrouvailles. On a parlé de ceux qui ne pouvaient pas venir, expatriés quelques années au Chili ou en Chine. On a trinqué, et on a remis une bûche sur le feu.

Le dîner fut animé, sans éclats de voix particuliers pour autant. On a parlé politique bien sûr, mais sans s’engueuler, pour une fois. Les récentes déchirures entre tel ou tel semblent être pardonnées, ou en tout cas dépassées, chacun mesurant peut-être que ça serait quand même un peu con de bousiller une si longue amitié pour ça. On a parlé aussi, évidemment, de celles qui n’étaient pas là : les femmes. Présentes partout, mais visibles nulle part. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, car je risquerais d’avoir des problèmes avec telle ou telle, et avec les féministes de garde qui veillent au grain, partout et toujours. C’était un week-end entre copains. Point.

On a ouvert quelques belles bouteilles, car c’est le seul dress code que nous nous imposons : on vient seul, sans femme, ni enfants, ni chiens ni chats, mais bien accompagné quand même. Sans être des buveurs d’étiquettes, nous sommes quand même amateurs de belles et bonnes choses… à partir du moment où elles s’ouvrent avec un tire-bouchon. Les discussions sont allées bon train, et on a voyagé sans quitter nos chaises : du Tchad d’où revient l’un des nôtres d’une mission humanitaire, à Pékin et Santiago où sont les frères de deux autres. Paris, Blois, Lyon et le Tarn ont fait le reste. On a aussi parlé médecine, et c’est toujours rassurant d’avoir un docteur parmi ses amis. On a évoqué la Cop 21, la planète, tout ça… Fromage, dessert, puis on s’est affalé qui dans le canapé, qui au bord de la cheminée, pour digérer en reprenant un verre de Saint-Emilion grand cru (ça aide, vous ne saviez pas ?).

On a remis une bûche sur le feu. Et les premiers tweets sont arrivés. Les premières alertes sur Facebook. Les premiers re-tweets des sites d’informations, des médias nationaux. Tout le monde, ou presque, s’est mis à regarder son smartphone sans rien dire. Nous cherchions les résultats d’un match de foot qui venait d’avoir lieu au Stade de France. Nous sommes tombés sur un concours de tir à vue en plein Paris. Un mauvais jeu de massacre. Et nous sommes tombés de haut. Certains on quand même débuté une petite belote, gardant une oreille à ce que les autres énonçaient en découvrant, stupéfaits, le bilan qui s’alourdissait minute par minute. Nous étions sidérés, sans mot dire. Le Parisien de l’équipe était inquiet. Son visage a changé. Le banlieusard n’était pas plus rassuré. Vers une heure du matin, les plus assommés sont allé se coucher. Les autres ont continué la belote. On se sentait à la fois proche de l’évènement et tellement protégé de là où nous étions, au beau milieu de la campagne limousine. Dehors, il commençait à faire froid mais sans excès pour un mois de novembre. Le silence était écrasant. Rien, ni chien, ni insecte, ni moteur, pas un meuglement de vache ni un souffle d’air. Le silence absolu de la nuit épaisse et lourde qui s’abattait sur notre maison, notre refuge. Une nuit noire. Une nuit de mort.

Le lendemain tout le monde s’est réveillé tôt, bien que certains se soient couché très tard. Nous avons alors pris, comme tout le monde, l’exacte mesure du drame atroce qui venait de ce jouer, un vendredi soir à Paris. Des gens écoutaient de la musique, mangeaient, buvaient, dansaient. Ils étaient à des terrasses de café, profitant de la douceur d’un automne jusqu’ici exceptionnel. Ils étaient, eux aussi, entre potes, entre amis, entre couples, ou seuls au comptoire, pour l’être un peu moins. Certains devaient se connaître, comme nous, depuis longtemps, depuis l'enfance qui sait, depuis toujours.

Nous avons alors tous pris conscience, sans se le dire, juste dans les regards et la manière d’être, que nous étions incroyablement chanceux d’être ensemble, d’être amis, et, plus encore : d’être vivants. La suite du week-end s’est déroulée comme elle devait : d’autres bouteilles se sont ouvertes, on a déjeuné dehors au soleil, la bière a coulé sous la mousse, on a ramassé des pieds de mouton et des châtaignes en secouant les feuilles mortes jonchant le sol des forêts. Le rosbif était parfaitement cuit comme on aime, et la tarte au pommes aussi. On a tapé dans un ballon de rugby, aux rebonds si imprévisibles. On a fait les cons avec le Lada Niva dans les chemins creux. Dimanche matin, sur la table du petit déjeuner, des journaux sont venus mettre des images et des mots sur l’horreur. Et nous disions : "et maintenant, que faire ?"

Enfin, l’après midi, au moment de la dispersion générale, tout les vieux copains, en se faisant des bises de vieux copains et se tapant sur les épaules se sont dit, droits dans les yeux : « à la prochaine, fin mai-début juin, hein ? »

Ouais, les gars. Sans faute, d’accord ?

Sans faute...

F.S 16 novembre 2015

- petite revue de presse entre amis -

- petite revue de presse entre amis -

- du beau, du bon, du...? -

- du beau, du bon, du...? -

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