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Le jour. D'après fred sabourin

presse book

La BD est fâchée !

1 Février 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #l'évènement, #Presse book

 

 

SAB 1985 R

 

 

Pendant le Festival de Bande dessinée d’Angoulême, environ 600 auteurs, scénaristes, coloristes, ont battu le pavé lors d’une marche. A l’origine de cette manifestation inédite, une réforme du régime de retraites qui ne passe pas.

 

C’est la révolte des petits Mickeys ! Imaginez environ 600 auteurs, scénaristes, coloristes de bande dessinée, en train de manifester. " La BD est fâchée, la BD est fauchée ! " pouvait-on entendre dans la manif. En tête de cortège, des têtes connues du monde du 9e art : Lewis Trondheilm, Pénélope Bagieux, André Juillard, Boulet, Fabrice Neaud, Benoît Peeters… Organisée par le SNAC BD (Syndicat national des auteurs de bande dessinée), cette manifestation s’est déroulée dans un esprit bon enfant, samedi 31 janvier à Angoulême, en plein 42e Festival. La veille, déjà, des " états généraux de la BD " avaient réunis 300 personnes dans la salle Nemo de la CIBDI (Cité internationale de la bande dessinée) pour faire le point sur une profession finalement méconnue, et confrontés à de nombreux problèmes. Paupérisation des auteurs de bande dessinée, droits d’auteurs menacés par Bruxelles, diffusion des albums BD (5000 sorties en réforme du 700 il y a 20 ans), et régime des retraites. C’est surtout cette dernière inquiétude qui a fait débordé le vase : une réforme du RAAP (Régime de retraite complémentaire des artistes et auteurs professionnels), proposée par le gouvernement, un peu sortie de nulle part et sans concertation selon Fabien Vehlmann du SNAC BD, propose une augmentation de 8 % ce qui équivaut à un mois de salaire environ pour des auteurs qui vivent déjà très chichement (lire l'encadré statistique). " Il y a 1500 auteurs qui tirent un revenu de leur art. Parmi eux, une cinquantaine de vedettes, 100 à 200 classe moyenne, les autres vivent d’un Smic et encore souvent moins ! " explique Benoît Peeters, qui collabora longtemps avec François Schuiten aux éditions Casterman.

 

Troisième place au PIB

 

Réputé pour son individualisme et son manque d’organisation, le petit monde de la BD a tout de même prouvé le contraire, lors de cette marche pacifique qui s’est conclu devant l’hôtel de ville d’Angoulême, où Fabien Vehlmann, scénariste, a lancé un appel au Président François Hollande, appel qui a du raisonner aux oreilles de sa ministre de la Culture Fleur Pellerin, en viste au FIBD dimanche 1er février. " Dessiner n’est pas anodin, ce qu’on fait a un sens. Les attentats contre Charlie Hebdo sont une violente et aberrante piqure de rappel ", a-t-il lancé en préambule, sous la façade de la mairie où est accrochée une banderole rappelant le nom des victimes de ces attentats. " Monsieur le Président, nous vous demandons de négocier avec les vrais partenaires sociaux : les représentants des auteurs et artistes. Les 8 % demandés, c’est trop ! Monsieur le Président, faut-il vous rappeler que les auteurs et les artistes, outre leur importance symbolique et culturelle sont aussi à l’origine d’une richesse économique qui confère au secteur la 3e place au PIB, devant l’industrie automobile. "

 

Les auteurs de bande dessinée restent mobilisés en attendant, espèrent-ils, un nouveau dialogue, lassés de ne pas être entendus depuis 6 mois. Il serait étonnant que vendredi 6 février à Blois, lors de l’inauguration de la Maison de la Bande dessinée, la révolte des petits Mickeys ne trouve pas un écho de la marche de sa grande sœur angoumoisine.

 

F.S

 

 

La BD en chiffres (2014)

 

• 2 % de baisse de chiffre d’affaires dans l’édition de la BD en 2014 par rapport à 2013.
• 35 millions d’albums vendus.
• 409 millions d’euros de recette, 5.500 albums publiés.
• 232.000 exemplaires : la plus grosse vente (le dernier album de la série Black & Mortimer).
• 349 éditeurs de BD.
• 1 % de la vente en digital (3 à 4 % pour le livre).
• 1500 auteurs tirent un revenu de la BD. 500 en vivent exclusivement. 200 auteurs vivent à Angoulême.

(source : Charente Libre)

 

 

 SAB 1956 R

                                 - Marche des auteurs : "la BD fâchée, la BD, fauchée" -

 

 

 

Le point de vue de Bruno Génini

 

Le directeur du festival BD Boum à Blois réagit à la marche des auteurs du festival d’Angoulême.

 

La Renaissance du Loir-et-Cher : que pensez-vous de ce qui s’est passé ce week-end à Angoulême ?
Bruno Génini : Depuis quelques mois les auteurs se mobilisent. On est solidaires avec eux. Au festival de BD de Saint-Malo (Quai des bulles, 10-12 octobre derniers), il y a déjà eu un débrayage des auteurs. Le président de l’association BD Boum, Jean-Pierre Baron, avait assisté à leur rencontre. Mais le dialogue était encore ouvert avec la ministre Fleur Pellerin, qui venait d’arriver. Du coup à BD Boum ils n’avaient pas fait d’action. On avait cependant laissé la parole au SNAC BD lors de l’inauguration.


LRLC : Où est le problème selon vous ?
B.G : Le secteur de l’édition de bandes dessinées est très concurrentiel, et c’est la loi des plus forts. Delcourt a racheté Soleil. Paquet a racheté Proust. Glénat s’est offert Vents d’Ouest. Dargaud-Dupuis-Lombard forment un seul et même groupe. C’est la course à l’échalote. Il y a trop de sorties, trop d’offre et beaucoup d'albums se retrouvent au pilon sans presque avoir eu le temps de se défendre chez les libraires. Une planche qui se vendait entre 300 et 400 € jusqu’à une période récente se vend désormais 150 €. Or un auteur, pour exister, il faut qu’il soit publié. Les éditeurs fonctionnent par coups. Ils sortent plein d’albums, et voient ce qui marche ou pas. Si ça ne marche pas tant pis, si ça marche, tant mieux. Pour un auteur, dans ce contexte, ça devient difficile de négocier. Après, il faut aussi remarquer que des éditeurs plus petits travaillent de manière plus conventionnel, à l’ancienne si j’ose dire. C’est mieux pour les auteurs.


LRLC : Et maintenant, quelle suite ce mouvement peut-il prendre ?
B.G : Il y a deux choses. La première concerne le régime de retraite, qui a mis le feu aux poudres. C’est une négociation entre les représentants d’une profession et le ministère. La deuxième chose, plus largement, concerne la paupérisation d’une profession. Mais la balle est dans le camp des éditeurs. La logique économique a pris le pas sur la logique artistique. C’est dommage et il faut réfléchir à ce qu’on veut pour l’avenir de cette profession.
 

Propos recueillis par F.S.

 

article paru dans la Renaissance du Loir-et-Cher du 06/02/2015  

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Le 42e FIBD d'Angoulême en images

31 Janvier 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #l'évènement, #Presse book

 

 

SAB 1902 R

                                  - Expo Jiro Taniguchi (Vaisseau Moebius, Cité internationale de la BD) -

 

 

SAB 1898 R

                                              - Expo Calvin & Hobbes (Bill Watterson) -

 

 

SAB 1933 R

                                        - Emmanuel Lepage en pleine séance de dédicace -

 

 

 

SAB 1903 R

 

 

 

SAB 1905 R

                                           - Expo "Nos armes" au Vaisseau Moebius CIBD - 

 

 

SAB 2007 R

                                              - Marche des auteurs, parvis de l'hôtel de ville -

 

 

SAB 2013 R

                                                 - Pas toujours été "tous Charlie" les confrères... -

 

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Charlie Hebdo, liberté d'expression : vers un nouvel impérialisme ?

18 Janvier 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito, #Presse book

 

 

La publication d’une nouvelle caricature de Mahomet en Une de Charlie Hebdo du 14 janvier suscite de vives et violentes réactions de part le monde. La liberté d’expression de l’hebdomadaire satirique a-t-elle dépassé une limite qui pourrait coûter très cher à la nation qui l’a engendrée ?


 

Charlie Hebdo et sa liberté d’expression imposeront-ils un nouvel impérialisme de la pensée à travers le monde ? C’est la question qu’on peut se poser en regardant les – très vives – réactions à la parution du numéro « des survivants » du 14 janvier dernier, dont la Une montre nouvelle caricature du prophète Mahomet.

 

A l’heure où nous écrivons ces lignes (les 17 et 18 janvier), le tour de la planète des réactions donne des frissons… Selon l’AFP, « Des milliers de personnes ont manifesté dans le monde musulman contre la une de mercredi. Le Centre culturel français de Zinder et trois églises ont été incendiés. Cinq personnes sont mortes, et quarante-cinq blessées, ce vendredi à Zinder au Niger, dans des manifestations contre la une du nouveau numéro de Charlie Hebdo. Parmi les victimes, trois civils. Le Centre culturel français de Zinder a par ailleurs été incendié, et trois églises saccagées par les manifestants (…) Des milliers de personnes ont manifesté vendredi, jour de prière, dans l'ensemble du monde arabe. »
 

Au Pakistan, en Mauritanie, à Alger, à Dakar, à Istanbul, à Amman, sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem-Est, à Kartoum (Soudan), au Qatar, en Iran et en Syrie, des manifestations plus ou moins fortes ont eu lieu, avec pour fil conducteur l’indignation contre les nouvelles caricatures du prophète.
 

 

A la lumière des Lumières

 

 

Tout le monde est-il « Charlie » ? Visiblement pas, en dépit des 3,5 millions de personnes descendues dans les rues de France et de Navarre le 11 janvier dernier (et plusieurs milliers dans le monde entier), donnant l’impression – probablement exagérée et de circonstances – d’une unité nationale et internationale, au regard de la présence de nombreux chefs d’Etat et représentants de pays étrangers boulevard Voltaire autour du Président François Hollande. Dont certains d’entre eux provenant de pays où la liberté d’expression n’est pas toujours de mise, c’est le moins que l’on puisse dire…

 

La liberté d’expression, un nouveau culte laïque qu’auraient caricaturé et tourné en ridicule eux-mêmes les membres défunts de Charlie Hebdo ! Ce culte ne semble pas partagé par tous, loin s’en faut. Fallait-il faire une nouvelle Une en caricaturant le prophète, déjà la cause du massacre de ces jours derniers ? Peut-être – il ne faut rien céder au terrorisme, à la peur, à la barbarie des menaces - mais on peut désormais de se poser des questions sur les acteurs de cette liberté d’expression (de Charlie Hebdo jusqu’au sommet de l’Etat en passant par tous ceux – et j’en suis – qui ont dit spontanément « je suis Charlie ») ; et de ce que nous imposons au monde, qui lui ne semble pas tout à fait raccord avec cette belle idée. Pour apprécier la caricature, dit une professeur de lettre dans une admirable adresse à ses élèves (« Mes chers élèves… », par Fanny Capel, professeur de lettres. Télérama), il faut être instruit, lire, écrire, critiquer, penser, faire fonctionner sa raison autant que son savoir. Se mettre à l’abris des philosophes des Lumières implique qu’on les connaissent, qu’on les ait lus, que des gens nous les aient expliqués, à la lumière – justement – de la raison pour en apprécier la valeur fondamentale, la substantifique moelle, comme le sang irrigue tout un corps : la liberté d’expression.
 

 

Un fanzine de potache

 

 

S’il ne faut pas ployer sous les menaces de mort des terroristes diligentés par Al-Quaïda, Daesh et pas mal d’autres personnes de nations qui se revendiquent musulmanes, il convient de regarder de près qui est réellement « Charlie » et qui ne l’est pas. Or seule l’Europe, occidentale – et notamment la France – qui trouve là une occasion inespérée de se refaire une santé alors que le corps européen était à l’agonie économique, morale et culturelle ; et l’Amérique du Nord, sont « Charlie ». Sans l’avoir vraiment déjà ouvert avant le 14 janvier, faut-il le rappeler. Le reste du monde semble plus circonspect quant à cette manière d’user de la liberté d’expression, dont l’humour, l’ironie, la dérision, le cynisme, la satire sont des valeurs à géométrie variable selon le côté du stylo où on se trouve.

 

Charlie Hebdo jusqu’au 7 janvier, c’était 30.000 exemplaires en kiosque, et selon ses membres, « un fanzine de potaches. »  Il est annoncé à 7 millions d’exemplaires après s’être déjà vendu à 2 millions d’exemplaires en trois jours. Record total en matière de publication de presse papier, laquelle est par ailleurs en soins palliatifs. Faut-il s’étonner que le monde entier découvre désormais ce qui était jusqu’ici plutôt confidentiel et presque invisible ? Les très vives réactions dans les pays sus-cités prouvent à quel point nous venons de mettre le doigt dans un engrenage qui pourrait bien se retourner contre nous et cette libre expression ardemment défendue (à juste titre)…

Pourquoi toutes ces réactions de part le monde contre ce journal, ce « fanzine » de sympathiques potaches libertaires, derniers survivants d’une époque post-soixante-huitarde qui n’en finit pas de mourir ? Ce qui est considéré comme une nouvelle provocation sera-t-il le début d’une lutte contre un nouvel impérialisme de la pensée, après celui, plus ancien et Ô combien combattu, de l’économie ?

 

La valeur de la vie

 

Il serait temps que l’occident oxydé et si sûr de ses valeurs réfléchisse à ce qui est en train de se passer, en se posant non seulement les bonnes questions, mais en prenant garde d’imposer au monde par la force, par le rire et la caricature des valeurs considérées possiblement universelles mais portées par une minorité de la population mondiale. Il faut réfléchir vite mais bien, dans l’union nationale si on y parvient, avant que d’autres terroristes ne passent à l’action avec ce coup d’avance propre aux joueurs de dames qui ont les « blancs ».

 

Provoquer c’est bien. Caricaturer aussi. Penser librement également. Et ce n’est pas sur ce blog qu’on vous dira le contraire. La liberté d’expression, je couche avec, il m’en a déjà coûté, il m'en coûtera encore. Ouvrir les yeux et sortir du déni ça serait pas mal non plus… Des vies pourraient concrètement être épargnées, c’est une belle valeur aussi ça, non ?

 

 

Charb corps du christ

 

 

 

 

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D'autres boulangeries-pâtisseries sont possibles...

17 Décembre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Presse book

 

(Parfois on me demande "Pourquoi es-tu journaliste ?" Pour ce genre de rencontre/portrait/reportage-là...)

 

 

G. Guyon

 

  

Grégory Guyon, pâtissier-boulanger, est installé depuis mai 2012 rue des Trois Marchands (Blois) à la place de Feuillette. Pas toujours facile de succéder à un mastodonte de la boulangerie.
 

Sauvé par le sucre ! Grégory Guyon, formé chez les meilleurs pâtissiers orléanais, l'avoue lui-même : "Sans ce concours, c’était le redressement. On fermait" Lauréat en 2013 du concours Talents gourmands organisé par le magazine Le Bottin gourmand, Grégory Guyon, 29 ans, a vu sa notoriété exploser, et son chiffre d’affaires se redresser. Premier prix du concours, presse et radio locale, et, cerise sur ses gâteaux, TF1 le journal de Jean-Pierre Pernaut. " Le jour où ils sont venus, un samedi, on a fait cinq heures de tournage, pour deux minutes et demie de diffusion. J’ai augmenté mes ventes dès le passage au JT. Les gens venaient en disant : on vous a vu sur TF1 ! " Après ce bond lié à la diffusion du reportage chez Pernaut, la cadence est revenue plus régulière. Si son chiffre d’affaires en boulangerie n’était pas folichon, celui de la pâtisserie a doublé. " Une libération ", répète-t-il.

  

Pain chaud

  

Mais avant d’en arriver là, Grégory et Héloïse Guyon ont passé de mauvaises nuits dans le pétrin. C’est en mai 2012 qu’ils reprennent cette boulangerie appartenant à l’origine au couple Pain (ça ne s’invente pas) puis au fameux Jean-François Feuillette, qui ouvrit sa première boulangerie en 2005 rue des Trois Marchands, Le Théâtre du pain. La succession va s’avérer difficile, malgré la présence de Mickaël, l'ex boulanger de Feuillette, qui préféra alors rester sur place que de suivre son patron à Vendôme, où il ouvrait un nouveau magasin. À Blois comme ailleurs, quand un commerce change de propriétaire tout en gardant le même produit, c’est plus fort que tout : le consommateur compare. Mais pire encore : il devient de plus en plus exigeant. " Ce que les gens veulent, explique Grégory Guyon, c’est du pain chaud l’après-midi, et même toute la journée. " Difficile, pour ce jeune couple originaire d’Orléans, dont c'est la première affaire, de faire face. Un four à gaz est coûteux. Pas de pains chauds l’après-midi. La clientèle s'en va, vers d’autres boulangeries – dont Feuillette pourtant installé en périphérie de la ville. Sans imaginer que certains boulangers, pour avoir les fameux pains chauds jusqu'en soirée, réchauffent dans un four spécial les pains fabriqués… le matin.

 

Gâteau en apesanteur

 

Mais le talent fini toujours par payer. Au bord du gouffre, Grégory Guyon tente le tout pour le tout. Habitué des podiums de concours de pâtisserie – il travailla chez les meilleurs pâtissiers d’Orléans, et au restaurant de la Ferté-Saint-Aubin la Ferme de La Lande – il n’a cependant jamais atteint la première place. Il connaît, pourtant, le concours organisé chaque année par Le Bottin gourmand : Les Talents gourmands. Mais la constitution du dossier le freine. " Je n’avais pas le temps. Ce sont eux qui m’ont appelés. Ils m’ont dit : vous avez trente minutes ? Et ils ont rempli le dossier eux-mêmes en me posant les questions. " Voilà Grégory Guyon à Chartres au Grand Monarque, en présence du parrain Alain Souchon, et de quatre autres candidats. Il doit passer en dernier. Tout est prêt depuis la veille, mais il choisit de garder les deux heures dont il dispose pour fabriquer ce qui va devenir sa botte secrète : des pièces en sucre, sur lesquelles il posera son Cœur des bois, recette originale à base de produits locaux : croustillant de noisette et céréales ; marmelade de fraises des bois déglacées au vinaigre d’Orléans ; crémeux au miel ; mousse à la noisette. Miracle : le gâteau semble tenir en apesanteur à quinze centimètres de l’assiette. Souchon est séduit. Le jury est emballé. Il gagne le premier prix. La suite, vous la connaissez.

 

Un métier difficile

 

" J’ai mis mon expérience dans ce gâteau ", explique, modestement, le pâtissier d’à peine 30 ans, dont la vocation remonte à l’enfance. " Ma mère était aide familiale. Elle confectionnait beaucoup de pâtisseries avec les enfants, pour leur apprendre à manipuler des choses fines. J’ai aimé ça. " La pâtisserie vous semble complexe ? " C’est de la chimie ! Tout est pesé, la qualité de la farine est moins importante que pour le pain. En boulangerie, la fabrication du pain est beaucoup plus complexe : tout va dépendre de l’hydrométrie, de la température journalière, combien de temps et avec quelle force vous avez pétri etc. Il faut vivre le produit. " Manière de dire qu’un boulanger, quoi qu’on en dise, ne fait jamais deux jours de suite les mêmes baguettes, quand le consommateur – de plus en plus exigeant donc – souhaite lui un produit uniforme et constant, jour après jour.

 

Pour autant, le métier reste difficile : le régime des indépendants est intraitable, les lourdeurs administratives pesantes, difficile de se dégager un salaire mensuel, horaires très élastiques (il commence à 5 heures du matin, jusqu’à 18 heures et souvent plus), le quartier un peu excentré et peu fourni en places de stationnement. La litanie est celle entendue par ailleurs chez les artisans et commerçants. " Qu’on nous laisse bosser normalement avant de nous assommer avec des normes et des tracas administratifs ", souffle-t-il. Refrain connu. Demeurent la foi chevillée au corps, et l’envie d’en découdre, quitte un jour à s’expatrier – il y songe, parfois.

 

Ce serait dommage : face aux boulangers-pâtissiers de moins en moins artisans et de plus en plus industriels, Grégory Guyon fait figure d’orfèvre. Et ça, ça vaut de l’or.

 

 

F.S

 

 

article paru dans La Renaissance du Loir-et-Cher le 19/12/2014

 

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Une nouvelle amie

27 Novembre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma, #Presse book

 

 

Duris

 


François Ozon joue avec les codes – qu’il transgresse – et les genres – qu’il bouscule – dans un film où même le spectateur peut goûter au plaisir du travestissement.

 

Pendant un long moment, on se demande où François Ozon veut emmener le spectateur avec Une nouvelle amie. Le début est pourtant limpide, et c’est même un beau moment de cinéma. Claire et Laura sont deux amies inséparables depuis leur 7e année. Dans le premier quart d’heure, le réalisateur balaie au cours d’un montage virtuose les vingt premières années de la vie de ces deux jeunes filles. Découverte, adolescence, rencontre du prince charmant, mariage de tradition familiale dans une paisible église de province bourgeoise et catholique. À peine mariée à David (Romain Duris), Laura (Isild Le Besco) – qui vient d’accoucher – meurt d’une maladie laissant seuls le père et Claire (Anaïs Demoustier). Cette dernière commence à sombrer dans la dépression qui amène son mari (Raphaël Personnaz) à lui conseiller d’aller rendre visite au jeune père veuf. Lorsqu’elle arrive chez lui, Claire tombe sur David costumé en femme blonde portant les vêtements de sa défunte épouse. Il justifie cet étonnant choix en disant que cela calme le bébé, perdu sans sa mère. Et cela satisfait pour lui une ancienne pulsion de travestissement, refoulée pendant son mariage.

 

Vertige des sentiments


Si cette transgression du genre est bien le véritable point de départ d’Une nouvelle amie, elle ne sera pourtant pas l’unique dans un scénario à la fois rigoureux, plaisant et déroutant. Le dégoût et l’incompréhension initiale de Claire vont peu à peu laisser place à d’autres ambigüités faites de désirs, de vertiges, de tentations, de séductions, de plaisirs troublants, d’érotisme libéré. Romain Duris prend un malin plaisir à jouer une femme dans un travestissement finement étudié, Anaïs Demoustier n’en demeure pas moins une jeune femme liée par tradition familiale au conformisme bourgeois d’une province aisée (qui n’a parfois rien à envier aux lotissements résidentiels américains), mais sérieusement ébranlée dans ses certitudes. Il n’est pourtant pas question ici du combat social que pourrait mener « David – Virginia » (le prénom choisi lorsqu’il s’incarne en femme), tel que François Ozon aurait pu le monter, avec toute la violence que cela supposerait. Pas non plus une sorte de comédie Cage aux folles. La question est moins « qu’est-ce que se découvrir travesti quand on vient d’un milieu hétéro bourgeois où cette transgression est tout bonnement inaudible ? » mais plutôt : « qu’étaient donc réellement les relations entre ces deux jeunes femmes, amies depuis si longtemps, et dont l’absence de l’une remet profondément en cause les sentiments de l’autre ? »


« Je suis une femme »


François Ozon, auteur du récent Jeune et jolie, joue avec les ambigüités et la transgression des codes à une époque où la société est extrêmement clivée sur les questions de mariage pour tous, de supposée théorie genre, des désirs refoulés qui finissent souvent par éclater au grand jour. D’autant plus violemment qu’ils étaient bien cadenassés dans le conformisme. Si le casting est parfait, n’en demeure pas moins une petite frustration à la sortie d’Une nouvelle amie. Celle d’avoir certes assisté à un bon film qui tient le spectateur jusqu’au bout, mais en laissant ouvertes beaucoup de portes qu’il aurait été intéressant de traverser. Comme pour La prochaine fois, je viserai le cœur de Cédric Anger dont nous parlions ici récemment, on aurait aimé qu’Ozon ose tirer des ficelles chabroliennes pour aller au-delà du désir, justement. Car ce qui est suggéré à l’issue d’Une nouvelle amie donne envie de savoir ce qui a bien pu se passer dans l’ellipse finale résumée par un « 7 ans plus tard ». On devra pour l’heure se contenter d’une des dernières paroles du film : « Je suis une femme ! » envoyée de Virginia à Claire par texto.


Certes, mais…
 

 

F.S


Une nouvelle amie, de François Ozon. Avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz, Isild Le Besco. 1h47.



Virginia

 

 

 

Une nouvelle amie

 

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La prochaine fois je viserai le cœur

13 Novembre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma, #Presse book

 

Canet 2 

 

 

Le nouveau film de Cédric Anger met en scène l’histoire d’un fait divers de la fin des années 70 : un gendarme tueur de jeunes filles. Noir, sobre, et nerveux.

 

Dans l’appartement de Franck, gendarme de son état, une affiche de David Hamilton attire l’œil et pas seulement. On connaît le goût, parfois sulfureux, du célèbre photographe et réalisateur londonien pour les jeunes femmes encore en fleur, à peine sortie de l’adolescence. La clé de la personnalité complexe, double, maladroite, peuplée d’un imaginaire viril, fascinée par l’ordre et la morale, du gendarme Franck (Guillaume Canet) réside là. Mais n’attendez pas de La prochaine fois je viserai le cœur qu’il vous la donne tout cuit.

 

Le « tueur de l’Oise »

 

L’histoire est inspirée de faits réels : en 1978-79, dans l’Oise, une série de meurtres et de tentatives de meurtres défraie la chronique. Plusieurs jeunes femmes sont en effet retrouvées mortes ou sérieusement blessées, soit renversées par une voiture alors qu’elles circulaient à mobylette, soit parce qu’elles faisaient de l’auto-stop. L’enquête sera d’autant plus longue que le coupable – qui finira par être arrêté – est un gendarme de la brigade chargée, avec la police judiciaire, de l’enquête. La prochaine fois je viserai le cœur est une formule utilisée par le gendarme-tueur dans des lettres anonymes qu’il envoyait afin d’essayer d’expliquer ses actes autant que pour brouiller les pistes. On l’appellera même « le tueur de l’Oise ».

Cédric Anger, fasciné par les films noirs, signe avec La prochaine fois je viserai le cœur une œuvre forte, dans la lignée de celles d’un Jean-Pierre Melville (on pense au Cercle rouge), ou Alain Corneau (Série noire). Déjà l’auteur du Tueur (en 2007) et de L’avocat (2011), Cédric Anger maîtrise les codes du film de genre. Mais ne croyez pas qu’il s’agisse d’une série B : La prochaine fois je viserai le cœur possède la classe et l’ambiance des meilleurs polars, pour plusieurs raisons.

 

Traque, suspicion, désillusion

 

D’abord et avant tout pour le personnage lui-même. Repoussant autant que fascinant, la personnalité de ce gendarme-tueur, Franck (1) ne peut laisser indifférent le spectateur. L’audace de Cédric Anger et de donner le point de vue du criminel au point de le rendre attachant. C’était risqué, mais ça fonctionne, surtout par le choix de Guillaume Canet pour interpréter le rôle. Mâchoires serrées, adepte de l’automutilation, incapable de nouer une relation avec une jeune femme qui pourtant lui saute au cou, troublé même par l’ambivalence sexuelle lorsqu’il doit se rendre sur des lieux de dragues homosexuels pour les besoins de l’enquête. Un rôle parfaitement interprété, de solitaire discret apparemment rangé, rêvant d’une mutation dans une unité type GIGN par envie de voyages, apprécié par son supérieur, dont il a la confiance. Ambivalent jusqu’au bout de lui-même, son besoin d’exister passe aussi par ses crimes, qu’il commet dans un état de folie ne parvenant pas à faire oublier l’abject du geste, jusqu’à en vomir. Franck sort de chez lui, de nuit. Puis traque une proie comme un chasseur, et la tue, ou la blesse mortellement. Puis il rentre chez lui s’allonger sur un lit impeccablement fait, ou dans une des pièces de l’appartement aménagée en repère de guerrier, véritable forteresse militaro-criminelle, avec articles de presse le concernant collés au mur.

 

L’autre raison de la réussite indéniable de La prochaine fois je viserai le cœur, c’est son climat. Scènes nocturnes, froides, et journées dans le brouillard ou la pluie, omniprésence de la boue et des flaques, d’arbres sans feuilles : il ne fait pas bon vivre dans cette Oise déprimante, grise, au cœur d’un hiver triste et morne.

 

Enfin, à la manière d’un Claude Chabrol qui se serait régalé à disséquer une institution de l’intérieur, comme ces vers de terre que Cédric Anger nous montre parfois en gros plan, l’unité de gendarmerie où Franck semble un modèle, devient le théâtre peu à peu d’une traque qui glissera vers la suspicion, et la désillusion. A ce sujet, la scène finale demeure un morceau d’anthologie du film noir : confondu par ses empreintes, Franck est arrêté par ses collègues, qui, l’ayant attaché comme un vulgaire prévenu au radiateur, le fixent d’un regard dégoûté de s’être fait si longtemps berné par le meilleur d’entre eux.

 

« Attention, je vais vous faire mal », dit étrangement à ses victimes ce gendarme avant de commettre ses crimes. La prochaine fois je viserai le cœur ajoute-t-il dans ses lettres anonymes. Et l’on se dit, en sortant de la séance, que Cédric Anger et Guillaume Canet ont réussi les deux.

 

F.S

 

(1) Il s’appelait Alain Lamare, était apprécié de ses supérieurs. Il a été déclaré par les psychiatres non responsable de ses actes pour état de démence, et a été interné dans une unité psychiatrique. 

 

 

 

Canet

 

 

 

Canet 3

 

 

Photos : Th. Hardmeier. Sunrise Films. Les Productions du Trésor. Mars Films. Caneo Films.

 

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Marcel Gauchet, au-delà de la polémique ?

16 Octobre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Presse book

 

SAB 1276 R

                                                 - Marcel Gauchet fait sa prière ?  -


La conférence inaugurale du philosophe et historien Marcel Gauchet s’est tenue dans un climat tendu lié à la fondre d’un groupe de jeunes historiens lui reprochant d’être plus réactionnaire que rebelle.
 

 

« Les organisateurs ne se doutait sans doute pas qu’en choisissant le thème des rebelles, ils tapaient dans le mille », a lancé Marcel Gauchet vendredi 10 octobre en soirée, lors de la conférence inaugurale des 17e Rendez-vous de l’Histoire. « Je n’ai aucune prétention sur la marque, et j’ambitionne d’être plus rebelle qu’eux ». Eux ? Deux intellectuels (1) qui, en plein cœur de l’été, apprenant que le philosophe et historien Marcel Gauchet viendrait ouvrir les Rendez-vous, ont lancé contre lui une véritable fronde, créant la polémique, s’indignant que le rédacteur en chef de la revue Le Débat qu’ils qualifient de « militant de la réaction » prenne la parole sur un tel thème. Un groupe d’historiens a remis le couvert dans l’édition du Monde du 10 octobre (2). Au point que les organisateurs avaient prévu un service d’ordre plutôt baraqué pour que la conférence se tienne dans de bonnes conditions.
 

 

« Nous subissons l’histoire »
 

 

« Sommes-nous là pour célébrer la rébellion ou pour mieux la connaître ? » a-t-il lancé en introduction. « Le monde est plein de rebelles depuis longtemps. Qui sont les vrais rebelles ? » s’est-il interrogé. Marcel Gauchet reconnaît que « l’individu contemporain est déterminé à devenir rebelle, la rébellion est en quelque sorte devenue la norme. » Le conformisme fait aujourd’hui horreur à beaucoup de monde : patrons insoumis, intellectuels subversifs, éditorialistes prêcheurs contre la bien-pensance. Or, pour Marcel Gauchet, « quand tout le monde est non-conformiste, le non-conformisme est le conformisme ».
 

 

Depuis l’émergence de la conscience historique, au XVIIIe siècle, et avec la figure de la Révolution qui dessinait une apothéose de l’histoire, il s’est passé beaucoup de temps et aujourd’hui émerge une révolution silencieuse, « une révolution qu’on attendait pas, invisible, sans acteurs pour la porter. Elle nous a fait changer de monde à tous les plans, » explique Marcel Gauchet. Cette révolution est technologique, industrielle et culturelle, elle a « pulvérisé les classes et les masses. Elle a rendu la révolution impensable comme projet. Plus rien sur quoi s’appuyer. Nous subissons l’histoire dans laquelle nous sommes jetés. In ne reste plus qu’un chaos aux interactions obscures dont on ne sait pas quel futur émerge. Il ne reste que le présent. » C’est ce qu’il nomme le « présentisme contemporain »,« le rôle de l’historien se trouve déstabilisé. Il ne reste guère que des gardiens du patrimoine et préposés aux commémorations ». Pour Marcel Gauchet, c’est là que surgit le rebelle.
 

 

La fin de l’histoire, ou sa disparition ?
 

 

« C’est là que surgit l’opposant radical au cours des choses subies. » Mais, selon lui, « aucun projet d’avenir ni collectif. Avec le rebelle, toute ambition transformatrice a disparue. Il ne nous reste que le refus subjectif vis-à-vis d’un ordre et d’une dynamique contre lequel nous sommes impuissants ». Et d’ajouter que le rebelle est passé de la droite (quand le rebelle faisait face à l’émergence d’un peuple de gauche) à la gauche du paysage politique (quand le rebelle s’oppose au effets néfastes d’un capitalisme débridé).
 

 

En conclusion de cette magistrale conférence, Marcel Gauchet ne peut que constater que « le conformisme est devenu impossible à supporter pour beaucoup de rebelles, et pourtant le monde n’est peuplé que de réfractaires à son ordre, et son ordre s’impose sans coups férir ! » Paradoxe schizophrénique du monde d’aujourd’hui. Est-ce pour autant la fin de l’Histoire comme le disent certains ? « Non, il ne s’agit que de la disparition de l’Histoire. Il faut traverser le mur des apparences – il est épais – pour retrouver le sens de l’Histoire. Avec un projet collectif. »

 

 

(1)    L'écrivain Édouard Louis et le philosophe Geoffroy de Lagasnerie.
(2)    Contre le coup de force de Marcel Gauchet. Un collectif de huit historiens, dont Ludivine Bantigny, maître de conférence à l’université de Rouen qui a démissionnée du comité scientifique des Rendez-vous de l’Histoire. Pages Débat du Monde du 10 octobre.

 

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Des rebelles conformes à leur conformisme

12 Octobre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Presse book

 

 

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Le rideau est tombé sur la 17e édition des Rendez-vous de l’histoire de Blois. 1000 intervenants et 400 rencontres, un cycle cinéma, un salon du livre. Et un défilé de ministres. 

 

 

Rebelles les Rendez-vous de l’histoire ? Probablement pas autant que l’affiche le laissait croire, et espérer. Et cela malgré le clin d’œil anecdotique dès les premières pages du programme officiel. Deux figures de "rebelles" semblent ironiquement scruter les amateurs d’histoire : Aurélie Filippetti, ex-ministre de la Culture. Et Benoît Hamont, ex-ministre de l’Éducation nationale. Ils signent tous les deux un éditorial qui fait sourire aujourd’hui. Le 25 août dernier, ils sont sortis du gouvernement, victimes de leur parole et attitude indépendantes. Comme des rebelles. Les organisateurs ont visiblement été pris de court, et le programme n’a pas été corrigé. En revanche, ils n’ont pas été pris de court sur le défilé de ministres – dont Manuel Valls – pour venir se pencher sur ce bel adolescent de 17 ans. Jusqu’à la présence de son fondateur lui-même, Jack Lang, désormais président de l’IMA (Institut du Monde arabe). Des ministres dont la rébellion est souvent soluble dans l’exercice du pouvoir, ce qu'il dira lui-même en substance lors d’une table ronde sur les rebelles au pouvoir.

 

Le Tigre rugit-il encore ?

 

Dès l’ouverture de cette « plus importante rencontre d’intellectuels en France » comme aiment à le rappeler le maire Marc Gricourt mais aussi Jean-Noël Jeanneney président du comité scientifique des Rendez-vous de l’histoire, la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem a donné le ton de la modération très politique sur le thème de l’année pourtant explosif : les rebelles. Condorcet, Olympe de Gouge, Mandela. Mais aussi Simone de Beauvoir, Victor Hugo, Georges Brassens, Joan Baez : les grandes figures de rebelles selon ses propres goûts. « Ma forme préférée de rébellion, c’est l’action politique, être membre d’un gouvernement dont je suis solidaire », a-t-elle ajouté dans le dernier temps de son intervention vendredi 10 octobre, devant un parterre d’officiels et de professeurs, pas tous rebelles loin de là. « La rébellion, c’est l’engagement, oui c’est possible à l’intérieur d’un système. La France qui s’engage, c’est la France qui sort de la crise », dira-t-elle à la fin, avec un lyrisme très contenu.
 

 

Propos qui trouveront une sorte d’écho lors de la causerie « au coin du feu » comme il le dira lui-même, entre Manuel Valls, Jean-Noël Jeanneney, et Jean Garrigues (1) sur la figure difficile à égaler aujourd’hui de Clémenceau, homme d’État. Une figure dont le Premier ministre, visiblement en admiration devant le « Tigre », le « tombeur de ministères » dont les joutes oratoires avec Jules Ferry, Aristides Briand ou Léon Gambetta sont mémorables, partage peu de points communs au regard du contexte d’une Ve République aux antipodes de celui de la IIIe. « Nous sommes un très grand pays et c’est là qu’un Clémenceau manque », avouera-t-il en fin de rencontre. Sans aucun doute le propos le plus pertinent de ce pensum d'une heure et demi. « Je souhaite que ce pays qui est un grand pays, loin de la morosité dont on nous rebat les oreilles en permanence retrouve la confiance en lui-même. Clémenceau n’aurait jamais accepté cette déprime – légitime au regard de la situation économique et sociale d’un grand nombre de Français. Nous devons retrouver l’audace », concluait-il. Singeant sans le savoir ce que Clémenceau disait lui même de Jaurès : "On reconnaît un discours de Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur."

 

Histoire critique, critique de l'histoire

 

Dimanche soir, au crépuscule de ces 17e Rendez-vous de l’histoire, Michelle Perrot (qui fut un temps présidente du comité scientifique) a partagé quelques convictions d’historienne sur le mot rebelle et sur les sens possibles du mot rébellion : les ouvriers et leurs grèves. L’univers carcéral des prisonniers et leurs révoltes. Les femmes et leur émancipation. « Blois nous donne de joyeux moments de consensus », a-t-elle conclut. On ne pouvait sans doute pas trouver mieux pour évoquer cette grand’messe des historiens, intellectuels, éditeurs, qui semblent tellement se méfier des critiques émanant de l’histoire critique au point de réserver celle-ci à la portion congrue et aux marges de ces Rendez-vous… L’année prochaine, « les empires », a lancé Jean-Noël Jeanneney en toute fin de rencontre, soulevant comme chaque année des "ah !" et des "oh !" de gourmandise.

 

Tous les ans, pire ? Réponse l’année prochaine…

 

(1)    Professeur à l’université d’Orléans, spécialiste de la IIIe République et président du Comité d’histoire parlementaire et scientifique.

 

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                                            - Michelle Perrot -

 

 

 

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                                             - Antoine de Baecque (à dr.) Prix Augustin Thierry de la Ville de Blois -

 

 

 

SAB 1344 R

                                          - J-N. Jeanneney, M. Valls, J. Garrigues -

 

 

 

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                                                       - Un tigre ? -

 

 

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Camille Lepage, photojournaliste (1988-2014)

15 Mai 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito, #Presse book

 

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                                          (c) LP

 

Alors qu’elle effectuait un reportage en République centrafricaine, au sud de Bouar, la jeune photographe Camille Lepage a été tuée dans l’exercice de sa profession le 13 mai dernier. Elle avait 26 ans.
 

Comme il a déjà été écrit ici sur ce blog,  Journaliste, c’est un métier       . Encore une qui tombe sous les balles de gens mal intentionnés qui cherchent à éliminer ceux qui témoignent, parce que c’est leur boulot, parce qu’ils aiment ce boulot, parce qu’on ne le fait pas par hasard. Camille Lepage, qui avait, entre autre, effectué un stage d’études chez nos confrères de Rue89, avait écrit dans sa lettre de motivation qu’elle « s’orientait vers le journalisme indépendant, avant tout parce que, selon elle, c’est le seul digne de ce nom. » Elle l’a payé de sa vie.

 

Comme il a déjà été écrit sur ce blog, on n’est naturellement pas obligé d’aller pointer les objectifs de ses boîtiers photos dans des endroits où vous ne mettriez même pas une phalange. Evidemment, être localier dans une rédaction microscopique d’un département qui ne l’est pas moins représente infiniment moins de risques (encore que, ça dépend à qui on s’attaque…). Certains diront qu’on ne fait pas le même métier, je crois que si, pourtant.
 

Comme une actualité chasse l’autre – médias girouettes, il faut bien becter – on a entendu sur l’antenne d’une radio nationale une certaine Ségolène Royale, ministre de l’Ecologie (ça n’est pas une blague) dire au sujet de propos qu’elle avait tenus dans l’hebdomadaire Paris-Match, et qui ont créé une polémique, « que c’est le propre des médias de déformer les propos en les sortant du contexte des interviews. » Naturellement, je ne nie pas qu’il peut arriver à certains d’entre nous, pour tout un tas de raisons qu’il serait long d’énumérer ici, de dire ou faire des conneries, par lassitude, manque de temps, étourderie, ou assez souvent aussi sur ordre d’une hiérarchie journalistique qui passe beaucoup de temps penchée au dessus de tableurs excel ou en stériles réunions, qu’ils en perdent le sens des réalités du terrain, qu’ils ont pourtant arpenté, autrefois. Naturellement, il peut aussi arriver de dire ou faire la même chose quand on est homme ou femme « politique, » ministre etc. Le mépris avec lequel certains disent souvent : « ah, vous, les journalistes… ! » n’a d’égal que celui que nous pouvons parfois, in petto leur renvoyer à ce moment-là.

Que tous ceux qui fustigent la profession se rassurent : il n’y a pas que les plans sociaux pour faire disparaître les journalistes, reporter, photojournalistes… Certains, sur le continent africain, en Syrie, et pas mal d’autres trous à rats du monde, s’évertuent à participer à cette action destructrice, lente, mais sûre, avec une culasse et une queue de détente.

Camille Lepage était visiblement une professionnelle passionnée, acharnée, au sourire enjôleur. Elle faisait des photos superbes, d’un grand talent, qui montrait quelque chose, racontait une histoire. Ce beau sourire de jeune femme pleine d’avenir a pris quelques balles dans un pick-up, et on parle déjà d’elle au passé.

   

Indépendante, assassinée, par des assassins.

 

 

 

 Prochainement, pour changer de sujet et retrouver un peu de légèreté, je vous parlerai ici d'Henri d'Aulnay-Pradelle, un des héros de l'épatant roman de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013.  

 

 

 

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Un avocat sans effets de manches

1 Mars 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature, #Presse book

 

 

Dans Porter leur voix, un avocat sans effets de manches, Laure Heinich évoque le métier d’avocat, et, en creux, celui de magistrat. Décapant.

Il n’est pas étonnant de croiser, dans Porter leur voix, un avocat sans effets de manches de maître Laure Heinich, un autre grand avocat, très grand même : Jean-Marc Varaut. Dans L’art de plaider, en 2002, trois ans avant sa mort, il disait : « Le temps ne fait rien à l’affaire. Une plaidoirie n’est pas un passe temps, un contre temps ou un temps mort mais doit être un temps fort dans la recherche dialogique du juste. On peut plaider le temps d’un sonnet et même d’un quatrain. Celui qui dit le plus est souvent celui qui dit le moins. Dans convaincre, il y a vaincre. »
 

 

Auteur d’un blog chez Rue89, Derrière le barreau, Laure Heinich, ex-élève du lycée Henri IV, université Panthéon-Sorbonne et DEA de droit médical, est avocate depuis 1999. Mais ce n’est pas une avocate comme les autres. Ancienne première Secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris, au terme d’un concours d’éloquence de haute volée, elle peut exercer dans des dossiers d’une grande gravité, que ce soit auprès des accusés ou des victimes. Ce qui fut notamment le cas dans le procès du « gang des barbares » avec Youssouf Fofana, en 2009, où elle défendit Myriam, celle qui avait reconnu sa copine dans le portrait-robot diffusé dans les médias et risquait une peine d’emprisonnement pour complicité présumée.
 

 

Entre son cabinet et le palais de justice de Paris, Laure Heinich est sans cesse confrontée aux cas les plus extravagants. Une jeune fille violée qui demande à son agresseur de recommencer ; un homme transformé en Cendrillon par la femme dont il est éperdument amoureux et qui finit par la poignarder ; un adolescent en apparence très calme et qui veut infiltrer un réseau homosexuel pour « casser du pédé, » avec ses copains, etc.
Il y a aussi et même surtout, dans Porter leur voix, un brûlot contre l’arrogance des magistrats, les nombreuses incohérences de la justice, l’indescriptible crasse du dépôt (où patientent les prévenus avant de comparaître devant le juge), l’insalubrité de la prison de Fresnes, et l'attente, l'attente, "il faut attendre, maître"… Révolte, compassion, détresse des victimes et remords des coupables, tout y passe, sans effets de manche, d’une plume ciselée, tantôt désabusée, parfois ironique et grinçante, voire cynique. Mais comment ne le serait-on pas, face à ce théâtre des tragédies humaines où les trois singes de la justice semblent faire face au lecteur en permanence : « je ne vois rien, je n’entends rien, je ne dis rien » ?
 

 

Laissons à maître Varaut le soin de terminer à la fois cette chronique et ce que nous avons ressenti à la lecture de Porter leur voix : « Plaider est l’art de donner un corps à une cause, non des mots à un discours. Un art ou plutôt une technique toute d’exécution et de circonstances. L’art de plaider c’est alors de rendre invisible la technique. Un art ou une technique surchargés d’exigence morale aussi. Bien parler renvoie au bien. »
 

 

Si maître Laure Heinich parle comme elle écrit, alors le bien n’est peut-être pas loin…

 

 

Laure Heinich, Porter leur voix, un avocat sans effets de manches. Fayard.

 

 

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