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Le jour. D'après fred sabourin

litterature

En lisant "Sur la route", de Jack Kerouac

24 Janvier 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #voyage - voyage...

- Sur la route en Limousin - (2015)

- Sur la route en Limousin - (2015)

"A présent, , il fallait que je dorme une journée entière, après quoi je me remettrais en route jusqu'à Denver. Je suis donc allé au YMCA, mais il n'y avait plus de chambre, alors mon instinct m'a conduit le long des voies ferrées, pas ce qui manque à Des Moines, et je me suis retrouvé dans une vieille auberge sinistre, près de la rotonde de la locomotive, un vieil hôtel, où j'ai passé une longue journée fabuleuse à dormir sur le matelas dur d'un grand lit tout propre et tout blanc, avec des saloperies graffitées à mon chevet, et des stores jaunes décrépits tirés sur le théâtre enfumé des voies de chemin de fer. Je me suis réveillé à l'heure où le soleil rougissait, et ça a été la seule fois précise de ma vie, le seul moment tellement bizarre, où je n'ai plus su qui j'étais... Loin de chez moi, hanté, fatigué du voyage, dans une chambre d'hôtel à bon marché que je n'avais jamais vue, j'entendais les trains cracher leur fumée, dehors, et les boiseries de l'hôtel craquer, les pas, à l'étage au-dessus, tous ces bruits mélancoliques, je regardais les hauts plafonds fissurés, et pendant quelques secondes de flottement je n'ai plus su qui j'étais. Je n'avais pas peur, j'étais simplement quelqu'un dautre, étranger à moi-même ; et toute ma vie était hantée, une vie de fantôme... J'avais traversé la moitié de l'Amérique, je me trouvais sur le fil, entre l'est de ma jeunesse et l'ouest de mon avenir, c'est peut-être pour ça que ça s'est passé là et pas ailleurs, en cet étrange après-midi rouge. Mais il fallait que je me remette en route, au lieu de pleurer sur mon sort, alors j'ai pris mon sac, j'ai dit au revoir au vieil aubergiste assis à côté de son crachoir, et je suis allé casser la croûte. J'ai mangé de la tarte aux pommes et de la glace ; la qualité s'améliorait à mesure que je m'enfonçais dans l'Iowa, la tarte était plus grosse, la glace plus crémeuse." 

Jack Kerouac, Sur la route. (Livre Un). 

- Sur les rails, à l'approche de Bangalore, Karnataka, India - (2006)

- Sur les rails, à l'approche de Bangalore, Karnataka, India - (2006)

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Humeur du jour...

14 Octobre 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

La Trebbia

 

L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.
Le camp s'éveille. En bas roule et gronde le fleuve
Où l'escadron léger des Numides s'abreuve.
Partout sonne l'appel clair des buccinateurs.

Car malgré Scipion, les augures menteurs,
La Trebbia débordée, et qu'il vente et qu'il pleuve,
Sempronius Consul, fier de sa gloire neuve,
A fait lever la hache et marcher les licteurs.

Rougissant le ciel noir de flamboîments lugubres,
A l'horizon, brûlaient les villages Insubres ;
On entendait au loin barrir un éléphant.

Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche,
Hannibal écoutait, pensif et triomphant,
Le piétinement sourd des légions en marche.

 

José-Maria de Heredia

Humeur du jour...
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Le Fils perdu de la République

12 Mai 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature, #Presse book

 

Le journaliste et écrivain Michel Taubmann signe un ouvrage richement doté de témoignages de proches et collaborateurs de Philippe Séguin, au parcours singulier dans la Ve République.

 

Philippe Séguin est mort soudainement dans sa 67e année le 7 janvier au matin. Aussitôt, les hommages ont fleuri de partout, de tous bords politiques confondus. Un paradoxe de plus pour un homme d’une singularité rare dans le paysage politique français. Personnage entier mais hérissé de pics et de pointes malgré sa physionomie toute en rondeur. Rarement un homme politique aura autant divisé que suscité l’adhésion de beaucoup de ceux qui ont eu à parcourir un bout de chemin avec lui. « Le problème de Séguin, c’est qu’il est séguiniste », dira de lui un jour un certain Jacques Chirac, qui ne l’aura pas ménagé non plus, et réciproquement. La formule lui sied à la perfection, tant Philippe Séguin aura fait ce que de nombreuses figures politiques ne parviennent jamais à être et encore moins à demeurer : rester lui-même, partout, en toutes circonstances, quels que soient les vents électoraux, les alliances et petites manigances de la popote politique des arrière-cuisines, honnies par le général de Gaulle, son modèle absolu.

Petit chose, ou Rastignac ?

On ne peut rien comprendre à Philippe Séguin si on ne remonte pas aux origines, et c’est le grand mérite du livre du journaliste de télévision Michel Taubmann, Le Fils perdu de la République, paru en avril 2015 aux éditions du Moment. Les origines de ce boulimique de travail autant que de pizzas, de cigarettes, de whisky et de femmes sont en Tunisie, où il nait en 1943. Élevé par sa mère dans le culte d’un père mort en combattant de la France libre dans le Doubs un an plus tard, Philippe Séguin est aussi le fils d’une union illégitime entre sa mère institutrice, Denise, et un juif tunisien qui travaille dans le même magasin de confection féminine qu’elle. Ce lourd secret ne lui sera révélé que bien plus tard, et il s’ajoutera à une autre lourdeur, encore plus écrasante, qu’il portera comme un fardeau toute sa vie : les deux médailles (Croix de guerre et Médaille militaire) remises à titre posthume à Robert Séguin, son père « adoptif » qu’il n’aura donc quasiment jamais connu, mais dont il vivra dans l’adoration permanente. Il a 6 ans en 1949 quand un général lui épingle ce tableau d’honneur sur le poitrail, occasionnant une colère face à sa mère qui une fois rentré à la maison voulait les lui enlever. « Elles sont à moi ! Elles sont à moi ! ». Le décor est planté. Consciemment et inconsciemment à la fois, ces deux héritages expliqueront pour une grande part la personnalité tourmentée de l’ancien député-maire d’Epinal, président de la Cour des Comptes à la fin de sa vie, après avoir été ministre de l’Emploi et des Affaires sociales, président d’un RPR en fin de vie, président de l’Assemblée nationale. Lui qui se décrivait souvent comme « Petit chose » a quand même un côté « Rastignac » en décrochant la 7e place de l’ENA (il y était rentré dans les derniers), promotion Robespierre, choisissant délibérément en connaissance de cause la Cour de Comptes, détestant la caste des bien-lotis de l’Inspection des finances. « C’est pour les bourgeois », disait-il.

Fou de foot

On le dit souvent hautement colérique, capable d’envoyer valser un cendrier à travers son bureau. Certains le décrivent surtout comme sensible, attachant, charmant et charmeur, mélancolique, aigri, râleur, ironique, doté d’un humour noir très british, et drôle. Il faut aussi, pour comprendre le personnage, connaître sa passion pour le foot, au point d’en être une drogue, et d’avoir souvent caressé le rêve de se voir proposer la présidence de la Fédération française de football, ce qui ne lui échu jamais, à son grand regret.

Philippe Séguin n’a pas ménagé son entourage, ni sa propre personne. Marié deux fois, il eut quatre enfants dont trois de son premier mariage. Boulimique de travail, il ne leur consacrera que peu de temps, mais toujours de grande attention et de grande qualité, à les écouter témoigner sur ce père pas comme les autres. Mais il aura aussi cette incroyable autant qu’absurde capacité à s’auto-détruire physiquement, fumant Gitane sur Gitane, engloutissant d’énormes pizzas dégoulinantes de fromage en regardant les matchs de foot, et sirotant des whiskys jusqu’à plus soif. Sur la balance, Séguin fait du yoyo, plutôt vers le haut.

Double abandon

Séguin aura surtout payé cher sa farouche indépendance, son franc parler, sa détestation des postures politiques sans projet, les néo-gaullistes sans doctrine plus préoccupés de leurs réélections que de la nation France et de sa souveraineté. Celle-ci il l’aime plus que tout, la défendra bec et ongles comme un forcené pendant toute sa vie, lui qui était pupille de la nation et disait à son sujet : « la nation m’appartient. » On se souvient de son engagement contre le traité de Maastricht en 1992. Un homme politique entier, au physique de colosse des Vosges où il réussira son parachutage en 1977 (élu maire où il restera jusqu’en 1997) et député l’année suivante, au terme d’élections législatives qui étaient loin d’être aisées pour la droite divisée entre giscardiens et chiraquiens. Chirac : ce mentor à qui il se dévouera autant qu’il détestera ses manières de roublard calculateur, manipulateur et flingueur. Chirac qui fera de lui un roi (nommé ministre en 1986) mais le laissera tomber en 2001 aux élections municipales de Paris où, refusant de trancher entre lui et le « chanoine » Tibéri, il fit perdre les deux et ce fut le début de la fin pour ce colosse aux pieds d’argile.

Très enrichi par les témoignages de ses proches, le livre de Michel Taubmann se lit comme un roman – national cela va sans dire – le roman d’une Ve République et d’une vie bouleversante autant que bouleversée. Mais c’est encore sa fille Catherine qui parle le mieux de se père au regard doux et aux éclats de rire tonitruants : « C’était un homme très pudique, très sensible. Beaucoup de nos échanges passaient par le regard, des bribes de phrases, et parfois de longs silences. » Un autre journaliste, Pierre Servent, qui a signé avec lui un livre d’entretien en 1990 (1), fait la synthèse d’un homme qui a traversé la Ve République en rêvant d’atteindre son sommet sans jamais y parvenir : « Il a toujours souffert d’un double abandon, celui du père mort en 1944, et celui de la mère-patrie tunisienne, quittée en 1956. » Tout est dit.

F.S

 

(1) La Force de convaincre. Ed. Payot.

Le Fils perdu de la République
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Les mystères du Loir-et-Cher dévoilés

24 Avril 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature, #Presse book

Le nouveau livre du journaliste Pascal Audoux lève le voile sur des éléments de l'histoire du département et des destinées insolites, extraordinaires et méconnues. Mais qui gagnent à l'être.

 

La séquestrée de Poitiers, Blanche Monnier ? Elle a fini ses jours à l'hôpital psychiatrique de Blois. Connaissez-vous vraiment le chanoine Tournesac fondateur du journal que vous avez en main, ecclésiastique haut en couleur malgré sa soutane noire et son col romain blanc ? Champigny-en-Beauce vous fait penser à un nom de village d'une aventure de Spirou et Fantasio ? Elle abrita une cité agricole, comme on dirait une cité de banlieue aujourd'hui. Et l'affaire du presbytère de la discorde à Chaumont-sur-Loire ? Saviez-vous aussi que les Américains avaient débarqué à Gièvres entre 1917 et 1919 ? Et ce préfet enterré dans l'église Saint-Nicolas, Albert de Lezay-Marnésia ? Pensez-vous tout savoir sur le père Brottier ? Connaissez-vous les diaboliques de Vendôme ? A-t-on tout dit sur Auguste Poulain, ou reste-t-il quelque chose à croquer ? Etc. Etc. Impossible de citer là tous les vingt-sept chapitres des quatre parties (1) qui composent Les Mystères du Loir-et-Cher de Pascal Audoux.

Mystérieux mystères

Le journaliste, historien et écrivain Pascal Audoux mériterait d'ailleurs à lui seul un chapitre sur ses propres mystères dans ce livre paru le 10 avril aux éditions De Borée. Passionné par son métier de localier – au sens noble du terme - et surtout par ce que certains nomment souvent avec la condescendance des petits sectaires de province la " petite histoire ", il signe avec ce nouvel opus une œuvre qui fera date dans les productions littéraires du département. L'homme n'a pas ménagé sa peine, ni son temps libre. À la manière d'un Rouletabille, il a su pousser les portes, s'interroger, contacter une foultitude de personnes, en ressusciter d'autres, fouiller les archives parfois poussiéreuses et souvent oubliées pour dénouer les énigmes de ces mystères. Et remettre cent fois ses certitudes sur le grill du doute ; pas celui dont on fait des prétendues fondations. Non, celui qui élève et instruit. Car, au sens littéral du terme, un mystère est quelque chose dont le sens est caché, et ne se révèle qu'aux initiés. Pascal Audoux ne se contente pas de s'en instruire lui-même et de s'en nourrir à la manière d'un érudit du haut Moyen Âge : il nous ouvre les portes en nous prêtant les clés de ce savoir encyclopédique.

Mystérieux évènements, mystérieuses personnalités aux destins peu communs, mystérieux toponymes d'une géographie et sociologie départementales qui sont, à elles seules, un mystère. Pas seulement parce qu'un chanteur célèbre (qui passa souvent ses vacances à Dhuizon chez ses grands-parents) en a magnifié la boue qui colle aux semelles - salissant au passage pour longtemps l'orgueil un brin mal placé des habitants du cru, leur injectant le poison d'un complexe d'infériorité tenace. Un département pourtant digne d'intérêt par ses coins et recoins, par son histoire, la petite et la grande, comme le dédale des 426 pièces et 77 escaliers du château de Chambord, fleuron et fierté locale qui permet au Loir-et-Cher de rayonner un peu plus loin que les limites des trois autoroutes qui le bordent.

Rigueur de l'historien, enthousiasme du journaliste

Dans sa préface, l'ancien préfet du département Gilles Lagarde, s'interroge à juste titre sur ce " département que l'on disait sans histoire [qui]  a souvent fait l'histoire (…) Par quelles mystérieuses prédispositions ce cœur de France (…) se trouva-t-il au cœur de l'histoire ? " C'est tout l'objet du livre de Pascal Audoux, qui l'avoue lui-même : "Je pars du principe, quand on est historien de formation comme je le suis, qu'on doit s'intéresser à l'histoire d'un département quand on y arrive. C'est ce que j'ai fait dès mon arrivée en Loir-et-Cher il y a 3 ans. Faire ce livre était aussi un challenge : le précédent, sur le Périgord (2), je l'avais fait avec un autre auteur. Je me suis lancé le défi d'en faire un seul. J'ai mis dans ce livre toute la rigueur de l'historien, et l’enthousiasme du journaliste."

Ces histoires insolites, étranges, criminelles et extraordinaires - sous-titre de l'ouvrage - passionneront plus d'un Loir-et-Chérien croyant bien connaître son département, en s'étonnant, cela va de soi. Un étonnement historique qui débouchera certainement sur un étonnement philosophique. Travail titanesque s'il en est pour un homme discret, boulimique de lectures et d'archives historiques autant que fan des répliques du cinéma de Michel Audiard et Henri Verneuil, de films comiques de série B et de leurs seconds rôles dont personne – sauf lui – ne se souvient du nom.

Et ça, ce n'est pas le moindre des étonnants mystères…

 

F.S

(1) 1ère partie : Histoires insolites. 2e partie : Histoires extraordinaires. 3e partie : Destins à part. 4e partie : Affaires criminelles.

(2) Les Mystères du Périgord, chez le même éditeur.

Pascal Audoux dédicacera Les Mystères du Loir-et-Cher samedi 25 avril de 15 h à 18 h chez Labbé, libraire, rue Porte-Chartraine à Blois.

 

article paru dans La Renaissance du L & C le 24 avril.

Pascal Audoux et les Mystères du Loir-et-Cher

Pascal Audoux et les Mystères du Loir-et-Cher

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La « Soumission » du missionnaire Houellebecq

8 Février 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature, #Presse book

 

 

Le nouveau roman de Michel Houellebecq n'est peut-être pas aussi prophétique que certains le disent. Politiquement incorrect, tenté par la transcendance, Houellebecq prêche. Pour quelle paroisse ?
 

Soumission, le sixième roman de Michel Houellebecq, est sorti en librairie le même jour que Charlie Hebdo du fameux 7 janvier, où le prix Goncourt 2010 pour La Carte et le territoire faisait la Une, caricaturé par Luz : « En 2015, je perds mes dents… En 2022, je fais ramadan ! » disait-il. C’était aussi le jour de la tuerie dans la rédaction de l’hebdomadaire satirique dont tout le monde – ou presque – se réclame partisan à ce jour. Cruel hasard d’une collision malheureuse de coïncidence meurtrière. Le lendemain, l’auteur annonce la suspension de la promotion du roman, et sa mise au vert - en réalité au blanc puisqu’il est parti s’isoler dans les Alpes - pour quelques temps. Michel Houellebecq rattrapé par son propre romanesque disent les uns, par ses propres prophéties pensent les autres.
 

Qu’est-ce que Soumission ? Il faut se reporter à la page 260 de ce roman qui en fait 300 – on a connu l’auteur plus prolixe – pour avoir un début de réponse : « L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. C’est une idée que j’hésiterais à exposer devant les coreligionnaires, qu’ils jugeraient peut-être blasphématoire, mais il y a pour moi un rapport entre l’absolue soumission de la femme à l’homme, telle que la décrit 'Histoire d’O', et la soumission de l’homme à Dieu, tel que l’envisage l’islam. »
 

Avant d’en arriver là, Michel Houellebecq nous projette en 2022, au moment de l’élection présidentielle qui va opposer au second tour la candidate du Front national Marine Le Pen et le chef d’un nouveau parti né quelques années plus tôt, la Fraternité musulmane, partisan d’un islam « ouvert » et « laïc ». A condition de se soumettre, naturellement, et de s’y convertir. Le narrateur, François, 44 ans, universitaire déjà au bout du rouleau, a tout du héros houellebecquien habituel (cela rassurera ses fidèles lecteurs…). Gros fumeur, grand buveur, se nourrissant essentiellement de plats réchauffés au micro-ondes, incapable de construire dans la durée une histoire d’amour, et adepte de relations sexuelles tarifées - fellations et sodomies - qui ne lui apportent que peu de plaisir, voir plus du tout. Certaines de ses observations de la société qui l’entoure sont souvent d’une ironie féroce et irrésistibles. En cela, Houellebecq fait du Houellebecq, on n’est pas perdus.
 

Cet universitaire revenu de tout ne l’est pas complètement de son sujet de prédilection, dont il a tiré sa thèse : l’écrivain du XIXe siècle convertit sur le tard au christianisme Joris-Karl Huysmans, qui publia en 1884 son chef d’œuvre, A rebours, une sorte de bréviaire de la décadence. On croise aussi dans Soumission, Léon Bloy, Charles Péguy, Barbey d’Aurevilly, Nietzsche, Sartres et Camus.
Mais en 2022, chez « François » alias Michel Houellebecq, le parti de la Fraternité musulmane remporte l’Elysée face à Marine Le Pen, et François Bayrou devient premier ministre. C’est dire si l’on va assez loin dans le romanesque… Ou dans le fantasme si l'on est adhérent au Modem. 

 

Pendant la lecture de ce court livre, on se demande finalement où il veut nous emmener, Houellebecq. Il se tâte, hésite, fait même un séjour – qu’il écourte plus tôt que prévu – à l’abbaye de Ligugé près de Poitiers, le long des voies TGV Paris – Bordeaux qu’il décrit avec la précision d’un séminariste habitué des lieux. Puis finalement, c’est vers l’islam que François se tourne, conscient que la suite de sa vie et de sa carrière passe par cette « soumission » là.
 

Alors dans cette incroyable position du missionnaire, Michel Houellebecq nous offre un temps l’espérance que l’axe centrale du livre serait la transcendance, comme seule possible pour « donner du sens » à un monde qui semble l’avoir perdu depuis longtemps et qui cherche à tout prix à le retrouver. « Et, surtout, le véritable ennemi des musulmans, ce qu’ils craignent et haïssent par-dessus tout, ce n’est pas le catholicisme ; c’est le sécularisme, la laïcité, le matérialisme athée » (1), fait-il dire au mari d’une de ses collègues universitaire (et ex membre de la DGSI, tant qu’à faire). Houellebecq se dévoile définitivement quelques pages avant la fin de Soumission : l’Europe ne peut se sauver elle-même. « L’arrivée massive de populations immigrés empreintes d’une culture traditionnelle encore marquée par les hiérarchies naturelles, la soumission de la femme et le respect dû aux anciens constituait une chance historique pour le réarmement moral et familial de l’Europe, ouvrait la perspective d’un nouvel âge d’or pour le vieux continent. Ces populations étaient souvent chrétiennes, mais elles étaient le plus souvent, il fallait le reconnaître, musulmanes. » (2)
 

En se dévoilant, Michel Houellebecq nous voile – au sens propre du terme - et nous soumet à la tentation de la prophétie, et du prophète. Ou du haut le cœur, c’est à choisir.
 

Ouf ! Ce n’était qu’un roman…

 

F.S

 

(1) Page 156.
(2) Ibid p. 276. 

 

 

 

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Immortelle randonnée - Jean-Christophe Ruffin

6 Septembre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

 

Pendant toute cette phase du chemin, j’ai multiplié les expériences spirituelles, visitant chaque ermita placée sur ma route, prenant part aux offices du soir dans les chapelles, les églises. J’ai pu mesurer dans quel état particulier se trouve aujourd’hui le petit monde de la chrétienté, en particulier en Espagne.
 

Si les messes dominicales regroupent encore beaucoup de monde, les offices du soir n’attirent que des personnes très âgées. Le service du prêtre semble fait pour elles seules et j’ai vu quelques officiants bâcler l’affaire, visiblement agacés de gâcher leur talent devant un si maigre public.
 

Dans certains endroits, la ferveur reste impressionnante malgré (ou à cause) du vide des bâtiments. Je me souviens d’un soir au Pays basque où, dans une église humide qu’ornaient de simples croix de fer forgé, une femme assez jeune enchaînait les ave maria en roulant les « r », déclenchant les réponses rocailleuses de l’assistance, semblables à des avalanches de pierres. A mesure que se répétaient les simples et brèves paroles de la prière, on sentait une tension monter dans l’église. Malgré le nombre relativement restreint de fidèles qui y étaient rassemblés, le lieu semblait empli d’énergie spirituelle. Quand, enfin, le prêtre fit son apparition dans le chœur, sa présence provoqua une véritable catharsis et peut-être çà et là quelques émois plus intimes.
 

Le pèlerin, en passant d’un lieu de culte à un autre, effectue une véritable coupe géologique à travers les différentes strates chrétiennes du pays.
Dans les fastueuses cathédrales, il rencontre l’élite du clergé, les prêtres les plus saints ou les plus habiles, ceux qui ont u tirer leur barque au sec et se sont fait attribuer, à défaut encore de la pourpre, de riches prébendes, des diocèses confortables, les plus belles cures. A l’autre extrémité, dans les campagnes reculées, survit à peine un clergé tout proche des usages païens qu’il est censé combattre. C’est là, dans ce lumpen-clergé, que l’on trouve tous les effets de la pauvreté, de la promiscuité, de la tentation qui sont autant de stigmates du Christ. Prêtres incompétents, alcooliques parfois, fornicateurs peut-être, quand ils se recrutent parmi ces pauvres pasteurs de campagne semblent pouvoir être, sinon absous, du moins jugés avec clémences. Ils ne cultivent pas leurs vices comme des privilèges de nantis mais plutôt comme les rares consolations qui leur soient offertes pendant une vie de misère. Mais ce sont des personnages de Graham Greene plus que de Barbey d’Aurevilly.

(chapitre Une belle tranche de chrétienté)

(…)

 


Dans l’état d’hébétude où j’étais en avançant dans les rues, cette épopée me fournit une matière à rêver. Le départ du Primitivo me projetait dans l’escorte du roi Alphonse. Je tentais de voir par ses yeux et imaginais les reliefs que je traversais à l’époque où ils n’étaient encombrés ni de trottoirs ni de chaussées, ni d’immeubles ni de magasins. Les personnages de bronze grandeur nature que les Espagnols aiment répandre dans leurs villes comme autant d’étranges silhouettes immobiles me semblaient avoir été les témoins pétrifiés, dans leur immobilité de statue, de la sortie triomphale d’Alphonse de sa capitale. Assez longtemps, deux ou trois heures peut-être, je conservai assez d’aptitude au rêve pour imaginer les oriflammes claquant au vent frais des combes, les villageois assemblés pour acclamer le roi, la procession des courtisans empressés de chevaucher au plus près du monarque. Ces derniers, je les voyais bien : la vie m’a donné le privilège d’observer de près ces grands animaux, félins mineurs ou fauves carnassiers, reproduits à l’identique depuis le fond des âges et pour les siècles des siècles, dressés à flatter les puissants autant qu’à mépriser les faibles et que l’existence, quoi qu’on en dise, récompense contre toute morale : je veux parler du peuple éternel et redoutable des lèches-bottes.

(chapitre Sur les traces d’Alphonse II et de Bouddha)

 

 

Ce dernier passage est particulièrement délicieux... (note personnelle)

 

 

Editions Guérin, 2013.

 

 

 

 

 

 

 

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Les yeux du temps

16 Juillet 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

SAB 0221 R

                                                       - Col de Lurdé -

 

 

 Je viens d’un temps qui n’aura jamais lieu
Je n’ai d’yeux que pour le temps qui viendra quand il peut
J’attends sans impatience car ce qui doit vient, sous peu,
Soulever les doutes, réchauffer le silence
Je sens que ce qui m’émeut ne dure jamais longtemps
Mais j’y pense à longueur de temps et c’est sans doute mieux
Je veux, je vois, je viens vers ce versant pluvieux
Les vœux au vent, les chevaux dans les yeux
Vive ! Vivement que ! Vivement que
Quelque chose advienne ! Demain

 

Je viens d’un temps qui n’aura jamais lieu
Je n’ai d’yeux que pour le temps qui viendra quand il peut
Je sais que ce qui m’enchante, c’est : « dis-moi ! quand tu veux… »
Je sens que ce qui me met en danger c’est de jouer le jeu
Je prends tout mon temps si ton sang s’échauffe
Je vends du sentiment si tu m’en prêtes un peu
Reste dur, peste sur ce qui te reste
Teste, mord. Geste à tort qui me traverse
Averse bleue. Perce le ciel et ne verse que
Ce que mes vers te laissent. Et berce-le.

 

Je suis né dans un lieu apparu dans longtemps
Je suis le chant des vieux pour les petits-enfants
Je veux, j’entends, je tiens dans mes mains plein de printemps
Des étés, des hivers et des automnes aussi
Etonné, tête le suc par tous les pores
La vie me glisse sur la peau. Je n’ai, dès lors,
Ni Dieu ni maître, ni maîtresse attitrée
A part la nuit qui m’a vu naître et cette nuit-ci
Ci-gît, ci-vint, lui, cet homme en devenir
Devinant ce qu’il est avant de s’endormir

 

Je suis né dans un chant, dans un temple en feu
Sur une planète de trop, sous des cieux moins cléments
Un nanti de la nuit, du jour le paria
J’ai sifflé tout le chaud et je souffle le froid
Triste prêtresse, traîtresse, toi qui as
Si mal tressé nos vies que nos voies sont faussées
Tu verses l’huile sur le feu, sous l’animal blessé
Laisse, cesse, ressens ce présent qui s’offre à moi
Cent fois, et sans faillir, je l’avais pressenti
Dernière danse, presque heureux, il est sans doute temps d’en rire

 

Je viens d’un temps qui n’aura jamais lieu
Et je n’ai d’yeux que pour le temps
Qui viendra

 

 

Zedrine, Que la surface s’apaise


Artiste autogéré. Site : www.zedrine.wordpress.com

 

 

 

SAB 0230 R

                                                            - Cabane de Cézy -

 

 

 

SAB 0228 R

                                                         - Cabane de Cézy -

 

 

 SAB 0242 R

                                            - En route vers le Moule de Jaout -

 

 

 SAB 0238 R

                                                  - Soussouéou -

 

 

 

SAB 0220 R

                                                - Pic de Lurdé -

 

 

 

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Henri d’Aulnay-Pradelle...

16 Mai 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

 

Henri d’Aulnay-Pradelle, esprit simple et sans nuances, avait facilement raison parce que sa rusticité décourageait souvent l’intelligence de ses interlocuteurs. Par exemple, il ne pouvait s’empêcher de considérer Léon Jardin-Beaulieu, moins grand que lui, comme moins intelligent. C’était évidemment faux et pourtant, comme Léon nourrissait un complexe à ce sujet qui le privait de ses moyens, Pradelle avait toujours gain de cause. Dans cette suprématie, il y avait cette question de la taille, mais aussi deux autres raisons qui se nommaient Yolande et Denise, respectivement sœur et épouse de Léon, et toutes deux les maîtresses d’Henri. La première depuis plus d’un an, la seconde depuis l’avant-veille de son mariage. Henri aurait trouvé plus piquant encore que ce soit la veille de la cérémonie, ou mieux, le matin même, les événements ne s’y étaient pas prêtés et l’avant-veille représentait déjà un fort beau résultat. Depuis ce jour-là, il disait volontiers à ses intimes : « Dans la famille Jardin-Beaulieu, il ne me manque que la mère. » La plaisanterie avait du succès parce que Mme Jardin-Beaulieu mère était une femme peu propre à éveiller le désir et très vertueuse. Henri, avec sa goujaterie coutumière, ne manquait pas d’ajouter : « Ceci explique cela. »

 

Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut.

 

 

 

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Mort de rire

12 Avril 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

 

"Ceux qui pensaient que la guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albert reçu-t-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu'à la propagande du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement molles qu'elles s'écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes, faisant hurler de rire les régiments français. En quatre ans, Albert en avait vu un paquet, de types morts de rire en recevant une balle allemande. "


Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut. (1er §).

 

 

 

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Ô captain, my captain ! (fiction)

28 Mars 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

 

La porte de l’armoire métallique a claqué une dernière fois, sans la fermer avec le cadenas. A ses pieds, les deux sacs paquetages kakis contenant tous ses effets. Antoine jeta une dernière fois un regard vers les deux rangées de six lits, de cette chambre 212, au second étage du bâtiment central de la caserne. Au fond, près du mur et entre les deux fenêtres, la télé dont ils avaient bricolé une antenne avec une fourchette. Puis il descendit réintégrer les affaires, selon un circuit qui reproduisait l’exact inverse qu’il avait fait à peine un an plus tôt. Il signa les papiers, en reçu d’autres. L’ambiance générale était à l’euphorie – certains parlaient de libération - mais lui gardait ses distances, conscient que quelque chose se refermait pour toujours.  Puis il alla dire au revoir au capitaine de sa compagnie, un homme droit et franc, au physique sec, avec lequel il avait eu d’excellents échanges sur toute sorte de sujets, bien au-delà des aspects militaires dus à leurs rangs. Un homme d’une humanité rare. Ô captain, my captain ! Il avait claqué un dernier garde-à-vous même habillé en civil. Puis il avait franchi la grille du régiment une dernière fois pour se rendre à la gare et rentrer chez lui. Le service militaire était terminé.
 

 

Antoine et le capitaine avaient échangé quelques nouvelles les cinq – six premières années. Quelques courriers au moment des vœux, bonjour-bonsoir, que devenez-vous, où êtes-vous, que faites-vous ? La vie avait suivi son cours. L’un gravissait les échelons de la hiérarchie militaire en roulant sa bosse autour du monde, l’autre apprenait à manier le goupillon en vue de son installation dans une cure du fin fond de la France. Le rouge et le noir. Le sabre, et le goupillon. Un monde – et quel monde ! - semblait les séparer, mais l’engagement les rapprochait. Au fond de lui Antoine n’avait jamais oublié cet homme dont la manière de commander était si différente de ceux rencontrés jusqu’alors. Un homme d’une grande écoute et d’une très forte compréhension humaine, des situations alambiquées, des conflits… Un homme rigoureux mais pour lequel il avait mis toute son énergie à servir loyalement. Et puis le temps avait fait son œuvre, les vicissitudes de la vie avaient tari la correspondance. Martinique, Vannes, et puis… Les épisodes s’arrêtaient brusquement, mais peut-on rester en contact avec tout le monde, tout le temps se disait-il ? Cependant, il n’avait pas oublié. Dans un coin de son bureau, coiffant une mappemonde, un béret rouge à l’insigne colonial trônait, ultime souvenir de ces quelques mois passés sous les drapeaux. Antoine se souvenait, parfois, avec un camarade du même contingent dont il avait conservé l’amitié, de cet officier qui était à la fois si fort et si droit, mais dont le charisme semblait aussi cacher d’anciennes fêlures sur lesquelles il s’était bien gardé de s’épancher. Ils évoquaient ensemble ces souvenirs contrastés, mais dont les points saillants revenaient toujours vers les quelques figures hors du commun qu’ils avaient connu. Tel sous-officier, tel officier. Et le capitaine, toujours.
 

 

La magie d’Internet lui a fait écrire son nom dans un moteur de recherche récemment, mais comment savoir combien de barrettes il avait désormais ? Probablement cinq. Il avait fini par retrouver sa trace, dans un cabinet dit de ressources humaines, spécialisé dans la gestion de conflits, de problématiques de leadership, d’esprit d’équipe etc. Ses trente et quelques années passées dans les forces spéciales et les régiments les plus actifs et les plus prestigieux, dans les endroits du monde les plus chauds lui avaient donné une sacrée expérience et une expertise hors du commun. Il s’en servait autrement, maintenant. Sans aucun doute avec ses mêmes qualités de meneur d’hommes.
 

 

Après un bref échange de mail, ils se téléphonèrent. Ô captain, my captain ! était devenu colonel de réserve, en « retraite » depuis 5 ans. La voix était la même, 17 ans après. Rien ne semblait véritablement changé chez cet homme loyal, franc, direct, courtois, à la parole qui claque mais vise juste. Dans le grand concert de fausses notes des médiocres auxquels Antoine, ex-subordonné de cet officier de grande valeur, avait eu affaire depuis quelques temps, et dont certains avaient voulu sa peau, l’échange inattendu avec cet homme rare et la promesse de se revoir « avant 18 ans, » l’avait conforté sur un point : il vaut mieux jeûner avec les aigles que de picorer avec la volaille. 
 

 

Ô captain, my captain ! Et le reste : du menu fretin.

 

 

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