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Le jour. D'après fred sabourin
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Adieu, mon pote Mickey…

12 Avril 2024 , Rédigé par F.S Publié dans #édito, #l'évènement

- "Rrrrraoul, t'es le roi du tango, Rrrrraoul, c'est bien toi le plus beau..."

- "Rrrrraoul, t'es le roi du tango, Rrrrraoul, c'est bien toi le plus beau..."

Mon cher Michel, je ne t’ai pourtant jamais appelé comme ça, ce sobriquet était réservé à une autre époque, à tes plus vieux amis, les copains et copines de la chorale universitaire et de la fac de sciences en Sorbonne, qui t’ont accompagné dans les fameuses tournées au Brésil. Tiens d’ailleurs j’entends d’ici la samba, de là-haut où tu dois retrouver un paquet d’amis de toujours et déjà faire la bamboche, avec une guitare trouvée dans un coin du paradis. Tu aurais pu avoir 1000 vies, Michel. Je me demande d’ailleurs si tu ne les as pas eues… Tu étais un artiste, un vrai, un personnage, et tu viens de t’envoler pour ton dernier tour de piste. « Et puis... mais ce n'est pas demain, il faudra que le soir vienne, je m'en irai sur le chemin, où nous attend la chienne, un par un, mon amour, mon amour… Quand je serai dans les nuages, c'est autre part, c'est autre chose, encore, mais sans toi, tu sais, je serai seul, là-bas dans l'autre image… ». Cette chanson de Serge Reggiani, que tu aimais tant, et que j’ai découverte grâce à toi (entre autres !), voici que cette funeste prophétie se réalise, « et ce n’est pas demain » devient « aujourd’hui »
 

Adieu, mon pote Mickey…

Michel Boullet fut prêtre, 60 ans durant. Du sacerdoce, il a tout exploré, ou presque : jeune vicaire à Cognac, prof de philo au grand séminaire de Poitiers, secrétaire-général adjoint à l’épiscopat et porte-parole des évêques, organisateur (avec d’autres) des voyages du Pape Jean-Paul II à Lourdes (1983) et Lyon (1986), directeur de la toute jeune antenne de RCF en Charente (RCF « Accords »), vicaire épiscopal des zones de Ruffec et Confolens, curé-doyen de la cathédrale et du centre-ville d’Angoulême, organisateur du festival off de bande-dessinée chrétienne (avec Jean-Claude Renaud), aumônier de multiples groupes, tennisman le samedi matin, montant en chaire le dimanche, et même… retraité.

Finalement, la seule chose que tu n’as pas faite, c’est évêque. Beaucoup – dont je suis – ce sont souvent demandés pourquoi ? Avec un tel parcours (excusez du peu !) : collège et lycée Saint-Paul d’Angoulême, faculté de sciences à la Sorbonne, séminaire des Carmes de l’Institut catholique de Paris, jusqu’à Rome pour les visites à Jean-Paul II, et cette passion pour les médias, dans lesquels tu étais si à l’aise, admirant ton mentor, Jacques Chancel (dont tu copieras intelligemment la fameuse Radioscopie sur RCF Accords, et que tu nommeras Rencontre, tout un programme…) ; sosie de Jean-Pierre Elkabbach, dont tu joueras des tours à quelques garçons de café parisiens… Bref, tu avais un sacré CV ! Et puis non, tu n’as jamais été évêque, et j’allais dire tant mieux, tant mieux, pour nous ! Nous t’avons gardé jalousement pour nous seuls… Et on en a bien profité.

Homme de convictions plus que de certitudes, tu as enchanté toutes les rencontres que tu as eu la chance et les possibilités de faire. Croyants ou non-croyants, anticléricaux « bouffeurs de curés », tu n’aimais rien tant que les rencontres. Avec « d'anciens alcooliques, des sortis de taule, des jeunes, des vieux. C'est toujours un bonheur de rencontrer les personnes dans leur vérité. Il faut aimer les gens comme ils sont et non pas comme on les projette.», comme tu l’avais confié à Charente Libre en septembre 2011, au moment de prendre ta « retraite », à… 79 ans.

- En juin 2005 lors de ta soirée de départ de la rue Fénelon -

- En juin 2005 lors de ta soirée de départ de la rue Fénelon -

Nous nous sommes vraiment connus qu’au milieu des années 90, en revenant d’un pèlerinage des jeunes de Charente à Lourdes. C’était au printemps. Nous rentrions de trois jours fatigants mais si exaltants comme à chaque fois, la voix cassée par les chants, les cris, les courtes nuits. J’étais dans le même bus que toi pour le retour, et tu as pris le micro – objet fétiche que tu chérissais – pour commenter l’arrivée place Mulac à Angoulême à la façon des commentaires du tiercé par Léon Zitrone, en improvisation totale. Tout le monde riait à s’en tenir les côtes… Et moi, je me disais : « mais qui c’est, ce gars ? Quelle est cette étonnante liberté ? ».

J’ai, quelques années plus tard, eu davantage de temps pour te connaître, quand tu m’as ouvert la porte d’une petite chambre dans ton presbytère de la rue Fénelon, été 1998, alors que l’atmosphère devenait irrespirable dans ma famille, et qu’il fallait que je fiche le camp d’urgence. Nous avons partagé presque 7 ans de vie dans cette maison du 18 rue Fénelon, d’abord pour quelques week-ends et des vacances, puis, comme jeune vicaire à tes côtés, où tu m'appris la plus fondamentale des leçons : la liberté est le bien le plus précieux qui soit, même si ça dérange.

Mon cher Michel... Nous avons tant partagé, tant ri, pleuré aussi quelquefois mais plus rarement, seulement dans les circonstances tragiques de la mort de mon père, et tu fus ensuite un si bon père de substitution, en mieux, car plus libre. Tu fus tout à la fois un ami, un frère, l'oncle que je n'ai jamais eu, un modèle, un père, au sens spirituel et au sens familial. De toi 1001 souvenirs restent gravés dans ma mémoire, des sorties au théâtre dont nous parlions 8 jours avant et encore 8 jours après ; les repas de Noël à 2h du matin une fois la cathédrale enfin rangée et fermée, avec Pierre le sacristain et nous refaisions nos guerres, toi au service militaire comme sous-lieutenant au Cameroun et moi dans les parachutistes coloniaux à Mont-de-Marsan ; quand nous mettions en boîte l'évêque et ses (nombreuses) névroses ; l'inoubliable dîner improvisé avec les restes de Noël le soir de la tempête de 99, avant que le courant ne se coupe définitivement et qu'on croit arrivée pour de bon l'apocalypse, ivre du magnifique bordeaux que tu avais ouvert ce soir-là, prétextant que si ça devait être la dernière bouteille, autant que ce soit la meilleure... ; les festivals de BD chrétiennes à Angoulême et les grandes tablées avec les dessinateurs ; les blagues au second, troisième, quatrième degré ; les imitations d'Elkabbach dont tu fus le sosie plus jeune, celles de Jean-Paul II sur la fin de sa vie ; le pied à l'étrier que tu me mis à la radio RCF Accords, pour une chronique cinéma de 3 minutes dont on sait où elle m'a ensuite conduite ; le commentaire en direct à la radio depuis la sacristie pour la messe hommage après la mort du Pape ; et, bien sûr, cette inénarrable chanson de Raoul de Godewarsvelde, « Rrrrraoul, le roi du tango », que tu as chanté ad libitum, jusqu’à l’usure, sans jamais, jamais nous lasser, dans tous les dîners, rencontres, rassemblements...

Michel, je t'aimais. Beaucoup. Énormément. Infiniment. Ta disparition, je le savais - je la redoutais - était dans l'ordre des choses, à 92 ans. Mais quand même, tu aurais pu éviter de faire ça le jour de ton anniversaire... Encore une dernière pirouette dont il faut rire, alors ? Aujourd'hui, je ne peux pas. Demain, peut-être... Comme tu aimais à dire à la fin de tes propres discours : « Je n’aurais que trois mots : bravo, courage, et merci ! ». Merci Michel. Merci « Mickey ». Merci « mon frère ». Merci « mon père ». Merci infiniment.

F.S.

[RIP Michel Boullet, 11/04/1932 - 11/04/2024. Prêtre du diocèse d'Angoulême]

- Avec Christian de Chergé, au séminaire des Carmes à Paris (1964 ?), avant de partir à Tibhirine en Algérie, où il mourra assasiné avec 6 autres frères en mai 1996 -

- Avec Christian de Chergé, au séminaire des Carmes à Paris (1964 ?), avant de partir à Tibhirine en Algérie, où il mourra assasiné avec 6 autres frères en mai 1996 -

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C’était Tonton Pierrot

1 Février 2024 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement

[texte personnel à l'occasion des obsèques d'un oncle parti à l'âge vénérable de 96 ans. Certains/certaines m'ont demandé le texte, je le publie ici.]

Tonton Pierrot était philosophe. Il lisait Descartes. Des cartes Michelin…

Il y avait « Tata Yoyo ». Et il y eut « Tonton Pierrot ». Notons d’emblée qu’aucune chanteuse belge n’aura d’ailleurs célébré ce patronyme autant que celui de son épouse. Heureusement le génial Jacques Tati a réalisé : « mon oncle ».

De lui, que des souvenirs, désormais : c’est la seule chose qui reste quand nos corps ne respirent plus. Le dernier souffle de l’âme s’échappe et vient se loger sous nos fronts ombrageux, ceux-là mêmes qui affrontèrent le sien, car « Tonton Pierrot » possédait ce que personne d’autre ne pourra lui enlever : du caractère, noueux comme un pied de vigne.

D’aussi loin qu’il m’en souvienne, je revois – je réentends devrais-je dire – des discussions enflammées, à mesure que descendait le niveau des bouteilles de Coteaux du Layon, de Chinon ou autres vins de Loire, les seuls nectars à trouver grâce à ses yeux. Ceux qui achèteront – si elle est à vendre – la maison de Jardres auront une cave miraculeuse ; car Tonton Pierrot faisait mieux que Jésus aux noces de Cana : on n’y a jamais manqué de vin...

Le choix des vins était en effet affaire sérieuse. Tata Yoyo s’occupait du solide, Tonton Pierrot du liquide. Chacun sa chimie… À ces repas pantagruéliques, rabelaisiens, qui commençaient vers deux heures de l’après-midi pour s’achever, dans le meilleur des cas, vers cinq heure et demi, six heures du soir à la lueur des lampes, succédait un bref entracte avant... de se remettre à table pour manger les restes. Car, oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, il fallait se remettre à table, que nous n’avions d’ailleurs pas vraiment quittée, alors que nos estomacs réclamaient simplement « grâce ! » 

C’est là que le tapis vert et les cartes sortaient du placard. Et avec eux, les discussions enflammées.

Au moment où les cartes s’abattaient sur le tapis, dans ce claquement de carton que chacun  reconnaîtra, il valait mieux ne pas évoquer la gauche, encore moins les socialistes, ne pas prononcer le nom du Président de la République (François Mitterrand). Je me suis souvent demandé si être, comme ce Charentais de Jarnac, ancien élève du collège et lycée Saint-Paul d’Angoulême, n’était pas à ses yeux un péché originel. Je pense pouvoir affirmer aujourd’hui que non, ou alors sans mot dire il ne m’en a jamais fait grief. Peut-être n’en pensait-il pas moins… Et puis, un soir, je devais avoir 20 et quelques courtes années. J’étais étudiant en histoire à l’université de Poitiers. Je rêvais de Sciences-Po (je n’en rêve plus, mais ça a duré un moment). J’avais pris ma carte au « RPR jeunes ». C’est dire si je m’étais racheté une conduite depuis le collège de l’homme de gauche… Mon père était là aussi, tapant le carton entre deux volutes de gauloises. Peut-être y avait-il Bernard. Tata Yoyo rangeait quelque chose, comme d’habitude, dans la cuisine. L’inattendu se produisit. Voulant participer à la conversation, j’avais dû le pousser dans ses retranchements, entre la belote et la rebelote, fort de l’insolence des merdeux de 20 ans, et sûr de son savoir universitaire. On parlait de politique, évidemment. Quand, visage rougi par la digestion du déjeuner, et l’indigestion de mes arguments, je lui dis : « mais quand même, Tonton, c’est la démocratie… ». Il a écrié : « la démocratie, je m’en fous ! ».

Belote, rebelote, et… dix de der ! Tonton Pierrot devenait Tonton flingueur ! Ne me demandez pas les tenants et aboutissants de ce qui a conduit à ce drame – car c’en est un - je ne m’en souviens plus et franchement ça n’a plus beaucoup d’importance. Je venais de découvrir une autre facette de Tonton Pierrot, et le Coteau du Layon avait bon dos…

J’ai oublié plein de trucs de ma brève rencontre avec mon Tonton flingueur (50 ans quand même…). Mais ça, je ne l’ai pas oublié. Je me suis souvent demandé ce qui avait pu le faire sortir de ses gonds à ce point-là. Et en réfléchissant à lui depuis vendredi dernier – jour où Bernard m’a appris la nouvelle – j’ai essayé de me remémorer ce que j’avais vécu avec Tonton Pierrot. M’est revenu cette ridicule et inappropriée anecdote (je lui pardonne !), et une autre, celle d’un soir veille de Toussaint de l’an 2000, quand l’ascenseur de la tour Maine à Châtellerault s’est ouvert et qu’il en a sorti sa grande carcasse suivi de près par Tata Yoyo. Mon père venait brutalement de se faire sauter les plombs ; Tonton Pierrot venait de fendre la nuit, sur la route entre Jardres et Châtellerault, avec la Super 5 plein phares, accourant à mon secours. J’ai vu ses yeux, et j’ai compris.

J’ai compris que Tonton Pierrot, c’était d’abord ça : des yeux, un regard bleu comme l’azur, une façon de voir les choses à l’horizon et de nous regarder comme personne d’autre. Des yeux doux, même quand il sortait de ses gonds, même quand il gueulait contre la gauche, Mitterrand, les socialo-communistes, les écologistes, les journalistes quand il s’en prenait à la télé pendant le journal télévisé (pauvre télé ! elle n’avait rien demandé, mais qu’est-ce qu’elle a pris…).   

Je crois qu’il y avait au fond de lui une vraie révolte, une saine révolte, quelque chose qui vous réveille la nuit contre la connerie universelle (la chose la mieux partagée au monde), l’incompétence de certains politiques, l’indifférence face aux choses essentielles : l’amitié, la filiation, l’amour du travail bien fait, les paysans, le fruit de la vigne et du travail des hommes… (la liste est longue, nous n’avons que peu de temps).

Vendredi j’ai retrouvé (je ne l’avais pas vraiment perdue) une photo de moi en parachutiste permissionnaire en juin 97, devant le rosier de la maison de Jardres. Il y a mon père, Tata Yoyo, et, à droite sur la photo, Tonton Pierrot, en chemisette à carreau par-dessus le pantalon. Je reconnais son beau regard, j’entends quasiment sa voix, cette voix un peu perchée, presque pas masculine, une voix comme on en rencontre peu, avec cette tessiture du bon sens dont il savait si bien nous distiller – comme sa prune – les bons mots, les bons conseils, les bons « trucs » à savoir : sur les poules, sur la vigne, sur le vin, sur les trains, sur les transports Toussaint, sur les cartes Michelin…

Au même moment, Jérôme m’a envoyé une photo de lui avec son grand-père datant du 12 décembre dernier. Il n’avait pas trop changé depuis la dernière fois que je l’avais vu, pour ses 90 ans. J’ai reconnu ses yeux, ce regard océan qu’il nous laisse comme le plus beau des trésors, celui d’un homme bon, entier, au caractère bien trempé, qui nous aimait.

Quand j’ai appris sa mort, j’ai entendu un dernier son, comme le craquement d’un arbre qui tombe d’avoir été trop longtemps debout. Et je me suis souvenu d’avoir lu chez Victor Hugo : « Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule, les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule ! ».

C’était « Tonton Pierrot ».

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David passera-t-il l'hiver ?

20 Décembre 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip, #quelle époque !, #édito

Quand j'étais adolescent, je me bidonnais en lisant les Chroniques de la haine ordinaire de Pierre Desproges. Elles se terminaient par une formule que nous répétions à l'envi avec mes copains : "quand au mois de mars, je le dis sans aucune arrière-pensée politique, ça m'étonnerait qu'il passe l'hiver".

- "Toutes les heures blessent ; la dernière tue" -

- "Toutes les heures blessent ; la dernière tue" -

J'ai étrangement repensé à cette formule d'un auteur qui maniait comme personne l'humour noir pince-sans-rire et cynique, quand David, bénéficiaire d'une petite commune près de Ruffec, nous a dit "au revoir" lundi dernier, juste avant la trêve de Noël : il devait repasser sur une table d'opération pour la troisième fois en quelques semaines, après deux infarctus qui ont bien faillit le laisser sur le carreau, à 51 ans, seulement. Il a deux ou trois stents posés récemment en urgence, qui lui ont fait dire - Desproges, sors de ce corps ! - qu'il ne "manquait pas de ressort". La vie de David est en suspens, mais il trouve encore la force de plaisanter, avec son accent charentais à couper au couteau, et des baskets comme pour courir un marathon. Quinze jours avant il était absent, et pour cause : les médecins l'ont rattrapé in extremis...

C'était un bref moment en marge de la dernière distribution alimentaire de l'année à Verteuil-sur-Charente, par un après-midi de froid et de brouillard, où le ciel et la terre se rejoignaient au-dessus des flaques de boue, contiguë au stade de foot, l'endroit le plus moche du bourg. Un décor à la Simenon. Salariés et bénévoles de l'épicerie solidaire ont retenu leur respiration, quand David a dit, au moment de partir : "bon, ben... j'espère vous revoir l'année prochaine...". On a tous marqué un temps de silence, durant lequel un ange est peut-être passé (il devait sérieusement se geler le cul !) ; et puis on lui a souhaité malgré tout un "joyeux Noël". Parce qu'on est comme ça, à l'épicerie sociale et solidaire E.I.D.E.R. : on prépare pour le pire, on espère le meilleur, et on prendra ce qui vient.

Chaque année, à même époque, c'est le même dilemme : que faut-il se souhaiter, dans ce nord Charente où tant de gens vivent sous le seuil de pauvreté, isolés, avec d'incommensurables problèmes de mobilité, de fins de mois qui commencent le 15, de factures énergétiques qui coûtent l'équivalent d'un PEL ? À la longue liste des tracas quotidiens s'ajoutent souvent les problèmes de santé, et c'est bien le cas présent pour David.

En rentrant au dépôt de l'épicerie solidaire à Mouton, on n'a pas beaucoup parlé, avec Céline et Jordan. Moi j'ai pensé tout le temps à David, à sa jovialité et sa sympathie malgré les emmerdements. Je me suis demandé comment il faisait, et je n'ai pas trouvé la réponse. Je n'ai pas dû faire assez de kilomètres... J'ai surtout pensé à ce qu'il venait de nous dire, et j'avais la gorge serrée. C'est là que m'est revenu Desproges, son cancer incurable, et sa formule "quand au mois de mars, ... ça m'étonnerait qu'il passe l'hiver".

Nous, on aimerait bien qu'il passe l'hiver, David, pour revoir, ensemble, le printemps. C'est mon souhait pour Noël, et je le dépose là, au pied du sapin...

Joyeux Noël.

F.S.

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“Le pauvre, c’est celui qui n’a rien”

7 Novembre 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #édito, #quelle époque !

C’était au détour d’un article de Charente Libre, fin octobre, signé Céline Guiral. Un article sur la pauvreté dans le nord de la Charente, une rencontre “avec ceux qui peinent à joindre les deux bouts”. La conclusion est de Bérénice, qui répond à la question de la journaliste : “vous percevez-vous pauvre ?”. Elle dit : “non, parce que le pauvre, c’est celui qui n’a rien”. Cette réponse tourne en boucle dans mon esprit, depuis. Elle interpelle le journaliste à temps plein que je fus il n’y a pas si longtemps encore, et le directeur d’épicerie solidaire que je suis actuellement. 

Je l’ai reconnue tout de suite, Bérénice, sur la photo illustrant l’article. Elle est bénéficiaire de mon épicerie solidaire itinérante dans le Ruffecois. Elle est de Villefagnan et vient aux distributions du mercredi, dans la Halle aux grains de ce bourg éloigné d’une dizaine de kilomètres de Ruffec. La Halle aux grains de Villefagnan, c’est un lieu qui pue le poisson : la veille de notre venue, c’est jour de marché, et les effluves de la poissonnerie “parfument” encore la halle le mercredi matin. En lisant l’article, en découvrant le visage presque souriant de Bérénice, en lisant sa conclusion, j’ai comme avalé une arête, pris un coup de poing à l’estomac, une claque dans la gueule. “Le pauvre, c’est celui qui n’a rien”, dit-elle. Comment mieux résumer à la fois la solitude dans laquelle elle se trouve, avec ses deux enfants et 1000 € par mois, et en même temps, comme dirait l’autre, une forme d’espérance spontanée qui trouve, dans cette formule digne d’un évangile, une illustration humaine, très humaine. 

Beaucoup s’en souviennent, j’ai été dans un passé très récent durant une quinzaine d’années journaliste. J’ai traîné mes carnets et stylos dans divers endroits de France, de Normandie à l’Ardèche, de Lyon à Paris, de Blois à Orléans. J’ai adoré ce métier, il me manque beaucoup. En lisant le papier de Céline Guiral, je me suis dit que j’aurais aimé recueillir de tels propos, tant ils sont à la fois terribles à entendre, et d’une criante nécessité à faire savoir. Une vérité qui serait le fruit d'une réalité dure, très dure, d’une situation économique et social compliquée, et, comme flottant au-dessus de cette eau saumâtre, une évidence qui nous saute à la figure : “être pauvre, c’est quand on a rien”

Ces propos m’ont fait penser à ceux, nombreux, que j’ai parfois recueillis et qui m’ont ému, à l’époque. Car malgré les avertissements des vieux sages de la profession, répétant à l’envi qu’il faut toujours “mettre à distance son sujet, afin de ne pas tomber dans l’émotion”, parfois, on est touché. Je me souviens notamment de ce jour où nous étions trois ou quatre confrères à recueillir les propos de parents d’enfants autistes qui criaient entre deux sanglots, littéralement,  leur désarroi de ne pas pouvoir bénéficier de la fameuse inclusion scolaire promise par la loi sur la handicap, et combien leurs vies et celle de leurs enfants étaient lourde, très lourde. Ou cet autre jour où j’accompagnais un religieux bénédictin en rupture avec sa communauté, qui avait choisi d’aller donner des cours de français aux migrants, les pieds dans la boue du cloaque de Grande-Synthe… 

“Vous percevez-vous pauvre ?”. “Non, parce que le pauvre, c’est celui qui n’a rien”. Sous-entendu, “j’ai quand même la richesse d’avoir mes enfants”, ou “j’ai quand même un toit sur la tête”, ou “je bénéficie d’une aide pour faire mes courses en allant à l’épicerie solidaire”, ou encore “je suis épaulée par l’association Cassiopée et j’y trouve un réconfort”

Je dis souvent à ceux qui me demandent - non sans une pointe d’étonnement de me voir là où je suis faire ce que je fais - si “ça n’est pas trop dur, de faire ce travail d’aide alimentaire ?”, je réponds que “travailler avec des pauvres, c’est très enrichissant”. J’aime voir sur le visage de mes interlocuteurs la fissure du paradoxe les traverser, à ce moment-là. C’est à peu près la même fissure qui m’a fendue en lisant les propos, si justes, si poignants, si vrais, de Bérénice : “Vous percevez-vous pauvre ?”. “Non, parce que le pauvre, c’est celui qui n’a rien”. À elle seule, elle justifie tout ce à quoi servent les acteurs sociaux ici et maintenant, dans ce territoire isolé et parfois abandonné, du côté de Villefagnan, de Ruffec, d’Aigre ou de Mansle. 

Mieux : elle donne un visage aux statistiques, implacables, de la pauvreté en Charente, “dans le top 5 des départements les plus pauvres en Nouvelle Aquitaine”. Et il n’y a franchement pas de quoi en être fier… 

Frédéric Sabourin

Directeur d’E.I.D.E.R. 

Courrier des lecteurs paru dans Charente Libre ici.

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Dans le silence des cathédrales

24 Août 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Ceux qui me connaissent le savent bien, et le disent, parfois : si les Pyrénées étaient une religion, je serais dévot. Ou bigot, c’est selon. Je n’en éprouve, depuis le temps (plus d’un quart de siècle) aucune honte, cette lubie, monomanie pour certains, est totalement assumée. Inutile de me faire changer d’avis, jusqu’à ma mort, ça sera comme ça. Parmi les « églises » pyrénéennes où j’aime particulièrement me « recueillir », il y a le massif de Gavarnie - Mont-Perdu. Trois cirques se succèdent (quatre, si l’on veut ajouter le plus oriental bien qu’ouvert au sud, formé par la muraille de Barroude) : Gavarnie, Estaubé, Troumouse. Depuis longtemps je songeais à faire découvrir ce sanctuaire béni entre tous à ma fille, jeune padawan de bientôt 12 ans au pied de plus en plus sûr, et aux mollets endurcis par les années de marche. Ce qui fut dit fut fait, cet été 2023.

Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Il y eut deux moments particulièrement émouvant pour elle, je crois : la découverte du cirque de Gavarnie et sa grande cascade, le premier jour (balade facile, 300 mètres de dénivelés) : au fond du cirque, sous la fraîche cascade ou presque, au pied du mur, dans les cailloux : rien de tel pour poser le décor. Puis la soirée et nuit dans la petite cabane des Aires, à 2100 mètres, à l’entrée du cirque de Troumouse. Je l’ai déjà écrit ici maintes fois et photographié autant de fois aussi : j’aime Gavarnie, c’est certain, mais plutôt d’en haut. J’adore Troumouse encore davantage, et j’aime y être « dedans » (même si la grande carcasse de la Munia, à 3185 mètres, demeure ma course mixte de montagne préférée). Au soir de ce 9 août, à l’issue d’une chaude journée d’été que nous avions passé à l’ombre, et dans la fraîcheur du torrent près de la chapelle d’Héas avant de se coltiner un peu plus d’une heure du demi de suée pour arriver en soirée à la cabane, nous avons bénéficié d’un silence de cathédrale. Il faut l’entendre pour le croire : au cœur même du ventre de ces onze kilomètres de circonférence (plus étendu que Gavarnie…), c’est à peine si l’air était troublé par le murmure d’un petit torrent quelques mètres plus bas. À ce moment-là, cette soirée-là, trois sens demeuraient essentiel à la contemplation : la vue, l’ouïe, l’odorat. Tout le reste semblait devenu accessoire. La petite cabane qui allait nous servir d’abri – mais contre quoi, la nature semblait si paisible ce soir-là ? - était comme la cabine d’un petit bateau qui nous aurait accueillis au milieu de l’océan. Même l’Espagnole, seule, qui s’y trouvait avant nous, ne faisait pas de bruit (chose rare, c’est qu’elle n’avait personne avec qui parler !). Nous étions posés là, dans le creux de la main chaleureuse de Troumouse, à contempler les « sept rochers capitaux » d’une crête si tentante : Pas de Gerbats, Pic Heid, Pointe des Aires, Pic de Troumouse, Pic de Serre de Mourènes, Petite Munia, Grande Munia. Une fois la jeune padawan saucissonnée dans son sac de couchage, je restais encore un petit moment dehors, à observer gravement, comme les marins, le soir tombant doucement. Rien ne manquait au décor, et surtout pas le silence de cette cathédrale de roches calcaires façonnée par le temps, l’érosion, la glace désormais totalement disparue. Je fis mon signe de croix à la fin de ces vêpres pyrénéennes et j’allais me coucher, les yeux imprimés de ce panorama sans cesse renouvelé.

Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Il y eut un troisième moment de « dévotion », si j’ose dire, lors de la montée à la Hourquette d’Alans (2430 m), la veille du départ. Profitant de la fraîcheur du petit matin, au sortir du bois des Espuguettes, ce col – Hourquette dans les Pyrénées indique une forme de fourche – permet de relier Gavarnie au cirque d’Estaubé, le moins connu des trois et pour autant pas le moins beau. Il débouche sur la célèbre brèche de Tuquerouye, à 2666m, où est posté, depuis 1896, le plus vieux refuge non-gardé des Pyrénées. Il y a bientôt trente ans, c’est ici que mon aventure pyrénéenne a commencé, et à l’époque, ça s’était plutôt mal passé : météo pourrie, compagnons de cordée pas du tout à la hauteur, inexpérience totale, matériel et vêtements totalement inadaptés aux conditions météo que nous avions rencontré. Les Pieds nickelés en randonnée… De l’eau a coulé depuis sous les passerelles de la grande cascade, je suis repassé souvent par ou près de cette Hourquette, j’avais à cœur de montrer à ma fille l’amphithéâtre du cirque sous un autre angle, qui se dévoile progressivement au fur et à mesure de l’ascension, et ne nous lâche plus jusqu’en haut, sous les contreforts du Pic Rouge de Pailla, et le regard bienveillant des Pics Astazou barrés en diagonal par le fameux couloir Swann. C’est ici que, dans les Choses vues, Victor Hugo a écrit un passage célèbre, à l’occasion de sa visite à Gavarnie, en 1843, quelques semaines avant la mort de sa chère fille Léopoldine : « C’est une montagne et une muraille tout à la fois. C’est l’édifice le plus mystérieux des architectes. C’est le Colosseum de la nature ; c’est Gavarnie ». Le Colisée de la nature… Certains trouveront ça emphatique et par trop exagéré,  moi je trouve ça très juste. Il faut le voir pour le croire. Et pour le voir, il faut le ressentir avec les pieds. Pour cela, on a mille mètres depuis le début du Gave de Pau (sa source est la grande cascade) pour en profiter pleinement. Arrivés en haut, les orgues se turent : pas un souffle de vent, pas le moindre bruit, si ce n’est quelques bribes de voix humaines – lesquels humains eurent le bon goût de quasiment chuchoter – et le grincement de la mastication de nos sandwichs au jambon sec. Face à nous : 35 millions d’années de construction et déconstruction. Sur le candélabre face à ce tabernacle géologique, nous déposâmes notre cierge, avant d’entamer la dernière descente, à grands regrets, pour ma part, enivrés des cimes. La vue est à couper le souffle, je ne connais pas meilleur panorama que la vision de cette muraille, ce fond de cirque, cette brèche dont on jurerait la bouche souriante d’un géant qui aurait perdu une dent.

Il fallut la grande fraîcheur d’une petite piscine d’eau dégringolant du rocher, à quelques mètres de la fin de cette promenade de santé, pour me remettre les idées en place. Lesquelles n’ont qu’une obsession : revenir ici, au plus vite, et si possible plus longtemps.

F.S. août 2023

Photos (c) fredsabourin.com / Dommage qu'il n'y ait pas eu de temps en temps quelques nuages pour les contrastes...

Dans le silence des cathédrales
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Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

5 Juillet 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

C’était un jour gris sans véritable personnalité. Le temps semblait hésiter, entre montée de brumes épaisses, annonciatrices d’humidité, et quelques trouées laissant passer de rares rayons de soleil. La lumière, par instants fugaces, était quand même assez belle et faisant ressortir le vert d’une nature visiblement très arrosée depuis plusieurs semaines. Une nature abondante, généreuse de verdure et de couleurs éclatantes. Les fleurs de montagne – quelques orchis encore, des chardons pointant leurs épines vers le ciel cotonneux, pas mal d’autres variétés dont malheureusement j’ignore le nom – brillaient de mille couleurs. Dominantes de jaune, rose cyclamen, bleu… La terre sentait cette odeur si caractéristique de pierres humides et de fougères entêtantes. Tous les sens étaient en éveil, même le goût, en étanchant ma soif à la fraîche fontaine de Bart : la saveur incomparable d’une source… La sueur me perlait en grosses gouttes dans le dos, sur le torse, et je sentais la ceinture de mon short bientôt saturée d’humidité. Parti de 400 et quelques mètres, l’objectif premier était à 1347 mètres, au col de la Courade. Rien de bien méchant, mais il fallait quand même s’envoyer 900 mètres, en peu de distance. Ce fut fait en deux heures, pile ; la cloche de Gère sonnait 10 heures quand je doublais la petite église ; je posais sac à terre, plus exactement sur la margelle d’un abreuvoir à vaches à midi pile. Mis à part une carcasse de vache croisée aux trois-quarts de l’ascension, je n’avais vu personne. Personne de vivant, devrais-je dire.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Au départ du chemin, la rumeur de la route départementale reliant Pau vers le nord, Laruns et l’Espagne vers le sud, me gênait : je ne parvenais pas à m’en débarrasser, je savais que le bruit disparaîtrait mais quand ? Il cessa net, je ne m’en aperçut finalement pas tout de suite. C’était pourtant comme si on avait brutalement coupé le son d’une télévision. Je me trouvais donc seul au col de la Courade, quelques vaches au Pla dou Soum faisaient tintinnabuler leurs grosses cloches. Je les distinguais à peine dans le brouillard désormais bien accroché. De temps à autre, quelques micro-gouttelettes semblaient en annoncer d’autres, plus fortes, mais nous restions dans le style crachin. Je pris la décision de monter un peu plus haut, vers les Rochers des Cinq Monts. Le sentier s’éleva franchement – 300 mètres de dénivelé en peu de temps – je suais abondamment et sentais bien la pente sous mes godasses. Au sortir d’un bois situé sous la crête de Bouhaben, le chemin se fit très boueux, labouré par les sabots des vaches qui avaient dû passer là peu de temps auparavant. Je commençais à entendre le son de leurs cloches. Une biche – ou un chevreuil – jappa de son rauque et guttural aboiement, mais vraiment assez loin, il ne pouvait m’avoir repéré bien que je puisse parler par moment à voix haute. La boue collait à mes grolles, c’était pénible et je devais louvoyer d’un bord à l’autre de ce cloaque pour ne pas m’enfoncer. J’avançais lentement, et n’y voyais pas à plus d'une trentaine de mètres. La faim commençait à me tenailler, et comme j’avais bêtement oublié mon couteau, je dus chercher une pierre très plate, style copeau d’ardoise, pour faire office de. J’y parvins et je passais le reste du chemin qui me séparait de la cabane de Gerbe d’en haut à la nettoyer consciencieusement avec mes doigts mouillés par les herbes humides, sur lesquelles je prélevais quelques gouttes d’eau au passage.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Je trouvais la cabane dans un léger contrebas, guidé par les vaches que j’imaginais bien groupées près d'elle. Elles y étaient, et paissaient, paisibles. Elles semblaient surprises devoir arriver l’humain, je restais cependant à distance, ayant repéré la présence au milieu d’elles d’un petit veau. Je les guettais du coin de l’œil en tartinant mon pâté avec mon couteau de fortune, mais bien vite je dus rentrer à l’abri dans la minuscule cabane. Celle-ci ne contenait qu’une table style bistrot, et une chaise. Ne voyant personne d’autre par ici, cela convenait parfaitement. Je pris, en mastiquant mes tartines, la décision de m’en tenir là, vu le temps et l’absence de visibilité. Sur la carte, je voyais une autre cabane – la Gerbe d’en bas – où je pensais me rendre directement sa avoir à refaire à l’envers le chemin qui m’avait mené jusqu’ici : la longue piste serpentant entre les granges. Je repartais donc, sans savoir si, comme je le lisais sur la carte, je pourrais descendre droit dans la pente herbeuse en direction de cette cabane. Mes pas faisaient un bruit de succion, la boue me collait aux semelles. J’étais en train de remonter une sente au sortir d’un bois que j’avais pris tout à l’heure, labouré par les vaches. Régulièrement, je jetais un œil à droite vers la pente herbeuse, ne parvenant pas à me décider de m'y engager. Les herbes, désormais bien mouillées, devaient glisser sévèrement. J’entendais d’autres vaches en bas, probablement elles aussi près de la cabane que je visais. Elles ne me semblaient pas si éloignées, mais comme je n’y voyais rien, la prise de décision s’en trouvait aussi réduite que ma visibilité. Je tergiversais : allais-je plonger dans l’herbe humide, coupant droit, en espérant que.... ?

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

C’est alors qu’il surgit, flanqué de deux chiens sur ses talons, un parapluie en bandoulière, une veste posée sur l’épaule, chaussé de bottes en caoutchouc, un bâton à la main. Il arrivait de son côté où la pente s’élevait aussi, le chemin formant à cet endroit une sorte de petit dôme, si bien que ni l’un ni l’autre ne pouvions voir arriver quiconque, sauf au dernier moment. Un surgissement, une apparition tout droit sorti du brouillard. Il ne parut pas plus surpris que cela ; moi oui ! J’étais d’ailleurs en train de marmonner mes pensées et tergiversations, comme un moine dans son cloître, lisant l’office. L’homme, coiffé d’une casquette, propriétaire des vaches plus bas – j’allais bientôt le savoir – répondit à mon « bonjour » par un : « alors, on se promène ? ». Je répondis oui, et j’en profitais pour lui demander où était précisément la cabane de Gerbe d’en bas. « Elle est par là », me dit-il, me montrant la pente que je lorgnais depuis tout à l’heure. Je lui fis part de mon hésitation à descendre direct, et il me dit : « j’y vais, vous voulez me suivre ? Ce sont mes vaches en bas ». Comment refuser une telle invitation, providentielle, qui me permettrait d’économiser environ une heure de marche ? J’embrayais derrière lui, tâchant de ne pas trop me laisser distancer, redescendant ce que je venais de monter dans la boue. Tout à coup, il prit à gauche direct dans la pente, et c’était parti. Les herbes glissaient, en effet, ses chiens se retournaient régulièrement en me guettant, intrigués par ma présence, se demandant sans doute quand j’allais me casser la gueule. Il fallait que je cavale bon train, l’homme, bien qu’en bottes, descendait à bonne allure et son pied était davantage montagnard que le mien, qui n’avait pas foulé les pentes pyrénéennes depuis fin mars. À l’entrée d’un passage boisé, une vache noire aux vastes cornes meuglait, solitaire. Le vacher s’arrêta auprès d’elle, on aurait dit qu’il lui parlait (sans doute lui parlait-il, mais je n’entendais pas à la distance où je me trouvais encore) me permettant de le rattraper, ayant perdu un peu de temps dans cette descente acrobatique. Était-elle à lui ? Il ne prit pas la peine de la ramener vers le bas en tout cas, et jetant un œil vers moi, voyant que j’arrivais (enfin !), il reparti aussitôt s’enfonçant dans le bois sombre, et très pentu. Un mince sentier descendait direct, ça frottait de part et d’autre tant il était étroit : je ne l’aurais probablement jamais trouvé tout seul. Je le perdis de vue, mais j’entendais de plus en plus les vaches en contrebas, signe que nous approchions. Au sortir du bois, il m’indiqua le croisement avec le sentier qui débouchait de la cabane de Gerbe d’en haut, que j’aurais pu prendre si j’avais su qu’il existait… Enfin, quelques courtes minutes plus tard, nous arrivions près de la cabane. Combien de temps avait duré cette descente infernale ? Dix minutes, tout au plus ? Peut-être quinze ? Le vacher me dit alors : « voilà, vous y êtes, c’est 200 euros ! » me lança-t-il en rigolant. « Je vous ai fait gagner une heure de marche en évitant le détour ». Et il me parla des gens qu’il croisait à Bious Artigues, pendant la pleine saison estivale, « des gens perdus qui ne savent plus trouver leur chemin ». Je m’étonnais de ce fait, Bious Artigues est un lieu facile, je ne vois pas bien comment on peut s’y égarer, même dans le brouillard ! « Ah si, pourtant, vous n’imaginez pas », ajouta-t-il. « Des Espagnols notamment… ». Je songeais en moi-même aux vers d’Hugo, « c’était un Espagnol de l’armée en déroute, qui se traînait sanglant sur le bord de la route… », et cela ne m’étonnait pas.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Je demeurais encore quelques minutes, à observer la cabane, à inspecter l’intérieur, et à regarder les vaches se rassembler auprès du vacher et de ses chiens, leur intimant l’ordre, en leur parlant par onomatopées, de remonter le chemin que nous venions de dévaler. Les chiens revinrent une dernière fois vers moi bille en tête, comme s’ils voulaient me dire quelque chose – mais quoi ?  - et repartirent au cul des vaches. Je les regardais s’éloigner, puis ne les voyais plus mais les entendais encore un bon moment, jusqu’à ce que je décide de repartir, seul, sur le sentier qui continuait de descendre vers Gère, et la vallée. « C’est par là, vous ne pouvez pas vous tromper », m’avait dit le vacher en guise d’adieu. Agitant mon béret, je l’avais chaleureusement remercié, et salué d’un « adichas ! » tel qu’on peut se le dire par ici, même si moi, je ne suis pas vraiment d’ici. Le vacher me salua de la main, tout en continuant à cavaler vers ses vaches, ses chiens à ses trousses. Ce concentré d’évènements éclaira ma journée plus sûrement que le soleil, que je n’avais point vu…

F.S. juillet 2023

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Dans l’œil des félins

21 Avril 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement

Il n’y a pas d’autre mérite que de payer son entrée dans un zoo pour observer, en toute sécurité, des animaux « sauvages » (nés pour ainsi dire tous en captivité), quand il nous faudrait des jours et des jours d’approche, des ruses de félins, pour n’apercevoir  à l’état naturel qu’une tache sombre au loin, ou l’éclat d’un pelage plus ou moins blanc selon l’animal. Sylvain Tesson, dans La Panthères des neiges, résumait les affûts d’une de ses formules qui font mouche : « Au tout, tout de suite, de l’épilepsie moderne, s’opposait le sans doute rien, jamais de l’affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable ! ».

Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins

Je ne suis pas du tout photographe animalier, j'ai peu de goût pour ça, encore moins de talent, ni de matériel adéquat. Je considère la photographie animalière comme un sacerdoce. J'ai beaucoup d'admiration pour cet ordre quasi monastique capable de passer des heures, des jours, des semaines à l'affût sans mot dire pour ne capter parfois qu'une image, et, comme disait Tesson précédemment, « sans doute rien ». Je songe au Vosgien Laurent Munier quêtant sa panthère sur les plateaux du Tibet par -20° ; au Solognot Laurent Charbonnier guettant les cervidés dans les matins humides et froids de Chambord ; à Jean-Michel Bertrand dans la vallée du Champsaur, près des Écrins, à la poursuite du loup... Mais je dois reconnaître que mardi dernier, au zoo de Beauval dans le Loir-et-Cher, le regard captif des félins m'a fasciné, dérouté, retourné. Je me suis demandé toute la journée - et une bonne partie de la nuit - ce que ces bêtes admirables pouvaient bien penser, en nous voyant, en me voyant empoignant mon fidèle boîtier Nikon, objet cyclope noir, pour essayer de capter « l'image du jour ».

Car plusieurs fois en effet, j’ai croisé le regard appuyé de ces fauves en liberté surveillée. Trois fois ce fut particulièrement puissant, tellement puissant que j’ai eu, la dernière fois, du retard à l’allumage pour saisir le moment où ce jaguar, se relevant brusquement, se dirigea droit vers moi, vers nous devrais-je dire puisque nous étions quatre ou cinq, dont un autre photographe. Ce jaguar bondit vers nous, déterminé, en nous fixant sans arrêt, puis disparu dans le fossé qui sépare – c’est heureux – les 6000 m² où s’ébrouent ces fauves du public, sans grillage ni vitre, par conséquent. L’une d’entre nous a dit : « on est sûr que le fossé est assez profond pour qu’il ne saute pas vers nous ? », ce à quoi, bravache, j’ai répondu : « on ne va pas tarder à le savoir… ».

Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins

La seconde fois c’était ce tigre blanc qui pris la pose, en grand habitué qu’il est probablement, mais il y avait je ne sais quoi dans l’air ce jour-là pour que ces félins nous transpercent du regard comme ils l’on fait. C’était fascinant, et je ne pouvais m’empêcher, dans un élan d’anthropomorphisme mal placé, d’imaginer ces animaux pensant. À quoi songent-ils, nous chouffant dans le blanc des yeux de leur regard amende de panthères, de léopards, de tigres, de jaguar ? Imaginent-ils la barbaque fraîche derrière l’objectif, ou rêvent-ils de liberté, qu’ils n’ont finalement jamais connue mais dont on sent bien que l’instinct est tapi là, prêt à bondir de nouveau, derrière ces pelages tachetés ? « C’est lorsqu’on ignore qu’on sait regarder », disait le journaliste Jacques Chancel dans une de ses Radioscopie. Alors ces félins savent voir, et regarder…

Dans l’œil des félins
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Dans l’œil des félins
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Dans l’œil des félins

« Elle nous a repéré, pensai-je. Que va-t-elle faire ? Bondir ? Elle bâilla. Voilà l’effet de l’homme sur la panthère du Tibet » (ibid.). C’est l’effet que j’ai dû faire sur le premier félin croisé, cette splendide panthère des neiges, qu’il aura fallu six ans et autant d’affût à Laurent Munier pour la faire entrer dans le cadre de son boîtier reflex. Comme au zoo d’Asson, dans le Béarn l’été dernier, il ne m’aura fallu que quelques dizaines de minutes après avoir passé le portique d’entrée du zoo pour croiser son bâillement (pour la première), et une langue aimablement tirée (pour la seconde). Celle-ci se repaissait-elle en secret du déjeuner qu’elle aurait fait de moi, si le grillage n’avait pas été entre nous ?

« Vivre dignement dans l’incertain », écrivait Jacques Chardonne dans Le ciel par la fenêtre. C’est l’humilité que nous enseigne ces animaux – félins, ou autres – certes en captivité mais finalement bien davantage protégés qu’à l’état naturel, où réchauffement climatique, pollution et chasses débridées menacent leur existence en permanence. « Il restait 5000 panthères dans le monde. Statistiquement, on comptait davantage d’êtres humains en manteaux de fourrure ». Ceux-là ne connaîtront jamais le prix d’un échange de regard avec ces félins, sondant nos esprits tourmentés d’humains en perdition sur la terre, au bord de l’irréversible destruction…

Photos (c) F.S.

Dans l’œil des félins
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L’eau monte

23 Décembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip

J’ai pris l’habitude, depuis deux ans, à l’approche de Noël, d’écrire non pas les états d’âme d’un directeur d’épicerie sociale itinérante en milieu rural, mais plutôt de chercher des raisons d’espérer dans le maelstrom ambiant.

L’eau monte

À la fin de « l’année covid » comme il est convenu de l’appeler, j’avais parlé de trois bénéficiaires qui se réjouissaient de ne plus avoir à venir chercher de l’aide alimentaire, leur situation s’améliorant. L’année dernière, j’avais loué l’extraordinaire générosité d’une ex-bénéficiaire qui avait fait un don conséquent, comme ça, « gratuitement » si j’ose dire.

Cette année, je me suis creusé la tête afin de trouver ce qui, dans le climat ambiant, loin d’être à la fête et aux sourires béats, pourrait donner quelques signaux d’espoir dans cette ruralité que l’on nomme ici « le Ruffecois », le nord-Charente, où souffle souvent le vent mauvais de la pauvreté aussi fort que sur les éoliennes qui encerclent les villages.

Souvent, on me pose la question « comment ça va ? », pour prendre des nouvelles de la situation de l’aide alimentaire en pays ruffecois. Je sens une pointe d’inquiétude dans la voix de mes interlocuteurs. Parfois, je réponds par une sorte de pirouette de navigateur : « grand soleil et p’tit vent frais, tout est normal ». Alors que je pense en réalité : « le bateau coule, normalement ».

Car oui, l’eau monte, et de partout. Si le nombre de bénéficiaires dans le secteur où l’épicerie sociale promène son camion pour les distributions semble stable – plus d’une centaine de familles tout de même, environ 250 personnes – pour le reste, oui, l’eau monte : inflation insupportable pour les gens déjà en difficultés ;  plein de carburant coûtant bientôt plus cher qu’un Pomerol millésimé ; flambée record des factures d’énergie ne se traduisant malheureusement pas dans les radiateurs… Partout, à tous les étages de cette société rurale, on sent une résignation, un « à quoi-bonisme » qui isole chaque jour davantage celles et ceux qui, jusqu’ici, se maintenaient juste au-dessus du niveau de flottaison, et finissent par boire la tasse.

Savent-ils, ceux et celles qui nous gouvernent, que l’eau monte ? Ils disent que oui, mais parfois, j’en doute. Je préfère malgré tout rappeler aux bénévoles et bénéficiaires que nous croisons sur les routes du Ruffecois que si cette année, nous avons eu aussi la grande tristesse de voir disparaître très brutalement notre co-présidente Marie-Anne, que nous aimions tous beaucoup, celle-ci, par sa générosité, l’indéfectible don d’elle-même et de son temps pour les autres (à commencer par ses propres enfants), doit rester un phare dans la nuit. Notre boussole. Une bouée de sauvetage, par son exemplarité, qui permet aux gens de ce secteur rural de ne pas, encore, couler totalement. Et d’espérer, toujours.

Joyeux Noël.

F. S. directeur d’E.I.D.E.R. (Espace itinérant d’aide alimentaire en pays Ruffecois).

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Chambre froide (chapitre 2)

29 Novembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #montagne

Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)

"L'élégance est de mourir. Je prends appui sur l'autorité de la neige : une reine descendue du ciel avec de longs gants blancs et voici que ses doigts s'écartent, que le cadeau de la plus belle pensée nous est donné. Quelques jours, puis elle meurt. Son apparition était dès l'origine son effacement. Construire une abbatiale qui traverse les siècles peut sembler orgueilleux en regard de ce vœu éphémère de la neige. Mais c'est la même magie : les pierres de l'abbatiale ont commencé à fondre dès que je leur ai tourné le dos".

Christian Bobin (24 avril 1951 - 23novembre 2022). La Nuit du cœur, Gallimard, 2018).

Photos : F.S., novembre 2022. Ariège, Siguer. Cabanes de Brouquenat-d'en-Haut et Peyregrand.

Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)

"La noblesse de la neige : arriver silencieusement, partir très vite" (Sylvain Tesson, Une très légère oscillation, journal 2014-2017).

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L’enfance s’en va, et déjà le temps des secrets succède à la gloire de mon père

23 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

Depuis quelques jours tu as franchis le portail d’un collège, signant ton entrée en 6e. C’est peu dire que tu attendais ce moment avec impatience, mais aussi – quoi de plus normal – avec une certaine appréhension. Symboliquement, je sentais bien depuis quelques temps qu’avec ce passage, s’éloignerait à pas feutrés le temps de l’enfance, avant peut-être les grands fracas de l’adolescence. Ces pas feutrés trainent quand même un peu les gros sabots de la fin d’un monde, celui de la fraîche insouciance, celui de l’enfance qui s’en va.

- Tu marcheras sur l'eau -

- Tu marcheras sur l'eau -

Je ne pourrais dire à quel moment précis je m’en suis réellement rendu compte. Il y a ces silences qui s’installent parfois entre nous, subrepticement, sans y songer, quand nous sommes en voiture par exemple, ou en promenades, ou pendant le déjeuner. Je te sens songeuse – est-ce cela ? - je me demande bien à quoi tu penses. Néanmoins quelque chose me retient, parfois, de te le demander comme si j’avais peur de percer certains mystères, dois-je d’ailleurs les nommer ainsi ? Je respecte tes silences, comme j’apprécie que tu respectes parfois les miens.

Tu n’as pourtant que onze ans (« que cela passe vite onze ans », disait Aragon dans l’un des poèmes du Roman inachevé), et je suis ton père : s’il est encore un peu tôt – c’est ma conviction, sans doute suis-je un peu fané – pour le « temps des secrets », je sens bien que ce n’est déjà plus vraiment « la gloire de mon père ». Ta façon de soutenir parfois l’insoutenable en me regardant bien droit dans les yeux, l’envie d’avoir toujours raison en affirmant ton petit caractère, l’esprit de contradiction - comme t’en ferais-je grief, moi qui l’aie depuis des décennies érigé en style de vie ? - bref, tu changes.   

Demeurent cependant les derniers feux de l’enfance, enveloppés dans le papier cadeau inattendu des belles surprises, et c’est heureux. Récemment dans la période estivale, tu m’as redemandé de te lire des histoires, le soir, avant l’extinction des feux. J’avoue mon étonnement la première fois, je croyais cette routine remisée pour de bon dans le registre des joyeux souvenirs d’enfance. « Parce que tu les lis bien, et que tu y mets le ton », as-tu dis comme pour justifier ta demande, et, je te l’avoue, j’en fus comblé. La théâtralisation de ces lectures du soir a toujours été mon moment favori, et nous avons lues et relues certaines jusqu’à l’usure : Le doudou du camion poubelle ; Et pourquoi ? ; La grande peur de Mariette et Soupir ; La tempête ; Le loup tombé du livre ; Ernest et Célestine ; Le mystère de la lune

Comme quand tu étais petite, je me suis donc assis à côté de toi sur le lit, appuyé à l’oreiller, à la lueur de la lampe de chevet et du globe terrestre lumineux offert pour tes cinq ans, chaussant désormais mes lunettes, sans lesquelles… point d’histoire, et c’est parti ! Nous sommes désormais un peu serrés sur le petit lit de  90 cm... « Ne le dis pas aux copines que tu me lis des histoires, elles se moqueraient de moi ». Je ne pense pourtant pas que cette « régression » passagère soit de nature à avoir honte, bien au contraire. Comme quand tu étais petite, tu as insisté pour que, la première histoire terminée, j’en lise une seconde. De très bonne grâce, je me suis exécuté, goûtant ce miel des derniers feux de l’enfance, de cette relation si particulière entre un père et sa fille, que je garde avec prudence comme dans un vase d’argile. Un trésor inestimable.

C’est à tout cela que je repensais ce matin en me levant, le jour de tes onze ans. Bon anniversaire, ma fille.

F.S. 23/09/2022

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